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« L'Ugtt est traversée par une crise d'autorité »
Entretien: Hèla Yousfi, sociologue des organisations
Publié dans La Presse de Tunisie le 18 - 05 - 2015

Elle est sociologue des organisations et vient de consacrer un ouvrage basé sur une enquête qui s'est poursuivie pendant trois ans, de 2011 à 2014, à l'Union générale tunisienne du travail. Héla Yousfi est l'auteure de « L'Ugtt, une passion tunisienne ». Sa connaissance des zones d'ombre et de lumière de l'organisation est époustouflante ! Rencontre.
La question a été posée le long de ces quatre dernières années. L'Ugtt est-elle un mouvement social ou une organisation politique ? Quelle est sa véritable identité ?
Je définirais l'Ugtt comme une organisation politique — ce n'est toutefois pas un parti politique —, beaucoup plus qu'un syndicat classique au sens européen du terme. Une organisation ayant toutefois hérité de traditions syndicales françaises et qui s'est greffée à un contexte social particulier. Les luttes syndicales de l'Union ont toujours été intimement liées aux mots d'ordre politiques depuis que les ouvriers tunisiens sont devenus autonomes par rapport aux syndicats français au moment de la colonisation en épousant la cause nationaliste et en se rapprochant du parti Néo-Destour de Bourguiba. La main-d'œuvre dès le départ était très hétérogène, phénomène qui s'est poursuivi après l'indépendance. Cette diversité régionale et sociale lui a donné une spécificité et une identité particulières. Chose qu'on ne retrouve pas dans les syndicats français par exemple. Ce n'est pas une idéologie qui définit la stratégie de l'Ugtt, même si elle reste proche des courants de gauche et nationalistes arabes, mais plutôt des équilibres très fragiles à trouver entre les intérêts sectoriels, des sensibilités régionales et politiques et parfois des allégeances par rapport à des personnalités charismatiques, tel Habib Achour. Il s'agit d'une constante dans plusieurs pays africains notamment ou de l'Europe de l'Est : le syndicat devient un lieu de rencontres entre les luttes sociales et politiques, contre le colonialisme ou le système du parti unique. D'ailleurs, le vocabulaire utilisé par les syndicalistes tunisiens, auquel je me suis particulièrement intéressée dans mon livre car il construit également l'identité de l'organisation, est que « l'Ugtt a été un refuge (maljaa) ». Pour revenir à votre question, les syndicalistes ont tendance à répéter que l'organisation est « une force d'équilibre ». Ils disent aussi parfois qu'elle est « une force d'équilibre et de pression ». Car le long de son histoire et selon la conjoncture et les rapports de force, elle va soit appuyer les mouvements sociaux ou se rapprocher du pouvoir. C'est une organisation dont les décisions sont le fruit de négociations et de compromis. D'un autre côté, le SG de la première centrale syndicale, du fait de son identité de partenaire social, est obligé de négocier avec le pouvoir. D'où la présence de Jrad chez Ben Ali et de Abassi chez Ghannouchi au temps de la Troïka. Mais au-delà des discours convenus et au-delà d'un puissant sens de l'appartenance qui unit les syndicalistes, la centrale syndicale est également traversée par les mêmes clivages qui divisent le pays. Elle est le produit des équilibres difficiles à construire entre plusieurs forces politiques et sociales. J'ai compris cette donnée en suivant les syndicalistes en temps de crise, recueillant leurs réactions à chaud à ce moment précis où ils ont tendance à se lâcher. L'Ugtt a d'autre part mis en place, du fait de son ancienneté, de son histoire et de sa culture, des mécanismes très intéressants de régulation des conflits. Chose que l'on ne retrouve pas dans d'autres organisations politiques.
Jusqu'au 17 décembre 2010, l'Ugtt a alterné face au pouvoir une stratégie « combinant pression et négociation », comme vous l'écrivez dans votre ouvrage. Que s'est-il passé au niveau de la dynamique interne de l'organisation avec le soulèvement de Sidi Bouzid, de Thala et de Kasserine ?
En fait, dès les premiers jours du soulèvement, les syndicalistes ont convoqué la mémoire de leur confrontation avec le pouvoir en 1978 et 1984 pour pouvoir changer les rapports de force à l'intérieur de l'organisation et faire pression sur le gouvernement. Ils avaient conscience à la fois de ce que pouvait leur offrir la centrale syndicale dans ce conflit avec le pouvoir et ses limites propres. Sachant qu'à l'époque le bureau exécutif de l'Union était complètement inféodé au pouvoir. Il y a eu alors une répartition des tâches très intéressante. Certains faisaient pression sur les bureaux régionaux pour libérer les prisonniers qui négociaient avec les autorités, d'autres participaient à l'encadrement des manifestants et à la politisation des slogans. La répression à Thala et à Kasserine va provoquer une rupture : les structures intermédiaires dans les régions vont passer d'une logique de médiation vers une logique d'affrontement contre à la fois le pouvoir et la direction de l'Ugtt. Il y aura dès lors rupture dans le circuit de décision hypercentralisé auparavant, notamment pour l'organisation des grèves. La bureaucratie syndicale a été obligée alors d'avaliser a postériori les décisions qui se prenaient dans les régions.
Durant ce premier épisode révolutionnaire, l'Ugtt a-t-elle également joué le rôle de refuge qui a toujours été le sien ?
En effet. Contrairement à d'autres pays comme l'Egypte ou la Syrie où les révolutionnaires prennent comme point de départ à leurs marches la mosquée, en Tunisie les manifestants commencent à se rassembler devant les sièges de l'Ugtt. Les syndicalistes ont aussi joué un rôle de coordination entre les différents groupes d'acteurs : les avocats, les jeunes chômeurs, les militants des droits de l'Homme. Le mouvement spontané a commencé alors à se politiser...
L'Etat s'affaiblissant à vue d'œil dès la première phase de transition et les partis de gauche connaissant une fragmentation, l'Ugtt est-elle devenue la première force politique ?
Jusqu'au 23 octobre 2011, date des élections de l'Assemblée constituante, l'Ugtt s'est trouvée au centre du clivage, qui a traversé la scène politique de l'époque entre les partisans de la continuité institutionnelle par rapport à l'ancien régime et les défenseurs d'une rupture totale avec le passé. L'Ugtt a été un acteur clé dans la mise en place de mécanismes d'expérimentation institutionnelle pour gérer la « transition », à savoir la participation active dans le Conseil national de protection de la révolution, la Haute instance de réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et plus tard l'initiation du Dialogue national. Cette force qu'elle a représentée à ce moment-là provient du poids de ses bases, près d'un million d'adhérents, et de ses capacités à réguler les conflits. Capacités issues de ses cadres organisationnels et de la « base consensuelle » sur laquelle elle a toujours travaillé. Du coup, l'organisation sort du rôle de soutien des mouvements populaires pour épouser un rôle politique d'intermédiaire entre la ligne réformiste et la ligne radicale. C'est là où il y a eu explosion des passions autour de l'Ugtt, les révolutionnaires l'accusant d'avoir confisqué la révolution et les autres lui reprochant d'être derrière les revendications sociales. Elle devient en fait une « force d'équilibre » dans un enjeu de stabilisation du paysage politique. Une force de construction des compromis également. L'autre aspect qu'il ne faut pas perdre de vue c'est que l'Ugtt faisant partie du champ politique, son ambition consistait aussi à ce moment-là à consolider et à conserver son pouvoir.
Après le 23 octobre, le pouvoir de l'Ugtt s'est quelque peu réduit face à la « légitimité électorale » de la Troïka. Jusqu'au déclenchement du dialogue national...
Très vite après le 23 octobre, l'Ugtt a commencé à parler de « légitimité consensuelle ». Mais, elle avait du mal à faire converger les gens autour d'elle. Ses initiatives de dialogue national lancées depuis l'été 2012 n'ont pas pris jusqu'au deuxième assassinat politique de juillet 2013, l'organisation du sit-in du Bardo et les événements d'Egypte. Encore une fois, l'Ugtt réhabilite un mécanisme ancien exploité lors de l'élection de la première Assemblée constituante de 1959, lorsque le parti au pouvoir a décidé de faire liste commune avec l'Ugtt et l'Utica. L'Ugtt ressuscite une rhétorique unitaire utilisée également au moment de la lutte pour l'indépendance. La principale critique adressée à l'Ugtt à l'issue du dialogue national consiste dans le fait que l'organisation, sur les fondements d'un consensus politique, a permis le partage du pouvoir entre l'ancienne élite politique et une nouvelle classe politique sortie des urnes aux dépens des revendications sociales et économiques à l'origine du processus révolutionnaire.
Aujourd'hui, les critiques n'arrêtent pas de s'élever contre l'Ugtt responsable des grèves et des mouvements sociaux, qui épuisent l'économie du pays. Jusqu'où ? Pourquoi l'organisation refuse-t-elle d'observer la « trêve » tant réclamée par les politiques quant aux revendications sectorielles de ses fédérations ?
Je crois qu'il y a une crise de l'autorité au sein de l'Ugtt, comme dans tout le pays. Cette crise a commencé dès le premier épisode révolutionnaire avec la décentralisation de la décision. Nous ne sommes plus dans la configuration classique de l'organisation. Ce n'est point Houcine Abassi, le SG, qui est le premier responsable des mouvements sociaux. Ses positions sont uniquement le reflet des rapports de force au sein de la centrale. La base aujourd'hui exige le retour à la question sociale qui a connu plusieurs « trêves », dont le dialogue national et la priorité de la lutte contre le terrorisme. D'autre part, les syndicalistes disent : « Pourquoi n'exige-t-on que de nous de faire des sacrifices ? Et les hommes d'affaires ? ». Il est vrai qu'on ne peut pas leur demander de continuer à faire des efforts, eux qui sont en souffrance à cause de la baisse vertigineuse de leur pouvoir d'achat, sans avoir une vision claire de la stratégie à suivre pour améliorer leur situation. D'autre part, il y a actuellement à l'intérieur de l'Ugtt une réflexion pour revoir la structure de la centrale syndicale. Pour s'adapter au nouveau contexte politique tunisien fait de pluralisme, y compris en matière de syndicalisme, l'organisation fera face à plusieurs défis les années à venir, dont la neutralisation des dérives corporatistes, la défense des intérêts de ses membres et l'intégration de plus de femmes, de jeunes et d'adhérents du secteur privé dans ses structures de décisions.
L'Ugtt a mis en place au moment du dialogue national une feuille de route savamment étudiée. Pourquoi, au lieu de continuer à dénoncer la vision économique et financière du gouvernement, ne propose-t-elle pas une alternative dans ces secteurs de la même dimension que son initiative politique de sortie de crise lancée au cours de l'été 2013 ?
En effet, l'Ugtt ne peut pas continuer à critiquer par exemple le projet de partenariat public/privé sans proposer une alternative. Il faudrait que l'organisation devienne une force de proposition pour d'autres secteurs, tels l'éducation, le textile, la décentralisation... Historiquement, sa force provient de là : c'est l'Ugtt, à travers son SG Ahmed Ben Salah, qui a été à l'origine de l'idée des plans de développement pour la Tunisie. Le temps de l'innovation est arrivé. C'est le moment ou jamais pour lancer, face à cette nouvelle vague de libéralisation, le « projet émancipateur » pour la Tunisie, dont parlent les syndicalistes. Un projet pour une nouvelle Tunisie plus juste d'un point de vue économique et social.


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