De nouveau dans la case de départ ? En douceur, en profondeur, la Tunisie s'engage dans un grand tournant. Une relève commence pour corriger une décennie qui n'a pas tenu ses promesses. L'hégémonie du parti islamiste Ennahdha, le dysfonctionnement du système politique instauré, la main mise sur la justice et les rouages de l'Etat, l'impunité et tant d'abus ont bloqué la démocratie. A bout de souffle, le gouvernement était dans l'impuissance totale. La quasi-faillite financière et les ravages de la pandémie sanitaires ont montré toute son incapacité à gouverner le pays. La Tunisie a été mise à genoux et les Tunisiens livrés à leur triste sort. Le statu quo ne pouvait constituer une option. Les multiples sommations lancées par Kais Saïed depuis janvier dernier ont fini par déclencher le tonnerre. Les salves claquent en série. Séisme. Le gouvernement qui implose, le parlement figé, Ennahdha est abasourdi, et la justice se met en branle. Une lourde machine s'élance. La querelle des constitutionnalistes ne passionne guère les Tunisiens. Ils affichent, en grande majorité, le sentiment d'un nouvel affranchissement. Ce qui est nouveau, c'est le désamour qu'ils portent pour la démocratie. Ils n'en ont vu, hormis la liberté d'expression, que dérapages, hégémonie, excès et abus. Leur vote n'a pas été utile. Les Tunisiens sont restés dans l'émotionnel. Loin de considérer la situation dans sa globalité et de façon rationnelle. Les espoirs se croisent avec la haine. la vague monte. Comme lors du sit-in de la Kasbah, fin janvier 2011, de la victoire d'Ennahdha, à la Constituante en 2011, ou de celle de Nidaa en 2014… Kais Saïed ne doit pas les décevoir. L'enthousiasme risque de virer rapidement au désenchantement profond. L'enjeu devient crucial. En donnant ce coup de barre, il se met en première position, comptable de ses résultats. Tout doit s'accomplir en trente jours. Le temps joue contre lui. Le déclenchement de l'article 80 de la constitution n'a pas été facile à décider. L'atterrissage, un mois après, dans la légalité constitutionnelle, ne doit pas être raté. La communauté internationale y veille, y tient, comme de nombreux Tunisiens éclairés. Où veut aller Kais Saïed en définitive ? Changer la donne politique, réformer le système politique, instaurer un régime présidentiel, revoir le code électoral, organiser des législatives anticipées ? Démanteler une classe vouée aux gémonies ? Libérer la justice, en faisant, notamment éclater la vérité sur les assassinats politiques et l'appareil clandestin d'Ennahdha ? Traquer jusqu'au bout malfrats, corrompus, contrebandiers et terroristes ? Il suffit qu'il le dise clairement. En s'appuyant sur la légalité et précisant les séquences, le calendrier et les modalités, il emportera l'adhésion la plus large. Le soutien international aussi. Ni une boîte noire, sans boussole, ni à la dérive de la constitution et rupture avec la démocratie. La Tunisie doit montrer qu'elle est capable de rectifier sa trajectoire dans le sens des aspirations profondes du peuple, et de s'affranchir de l'hégémonie islamiste. Refonder l'unité nationale retrouvée autour des valeurs communes d'équité, de modernité et du vivre ensemble, est la clef de voûte pour reconquérir l'estime des nations, la confiance des bailleurs de fonds et l'appui des pays frères et amis. Une course contre de la montre est engagée. L'état d'exception et ses pouvoirs spéciaux, qui ne saurait durer indéfiniment, ni autoriser le moindre dépassement, sont à mettre à profit pour sauver la Tunisie, la relancer. Débloquer la crise politique, surmonter celle financière et économique, accélérer la vaccination et prendre en charge les patients constituent des priorités de grande urgence. La fenêtre de tir, très réduite, risque de se refermer rapidement. Toute la responsabilité repose sur les épaules du chef de l'Etat. De sa vision, de ses choix, de ses décisions, du timing et de la sortie de l'état d'exception, dépend le salut de la Tunisie. La classe politique et la société civile en assurément, elles aussi, une large part. Trente jours pour réussir. Avons-nous un autre choix ?