L'édification de la ''Nouvelle République'' voulue par Kaïs Saïed ne sera pas facile. Ses chantiers seront longs, complexes et coûteux. A peine s'il a voulu couler son pilier fondateur, la constitution, son projet de la loi fondamentale est loin de recueillir l'unanimité. La différence significative entre la version officiellement publiée et celle élaborée par la commission nationale consultative chargée à cet effet, sous la présidence du doyen Sadok Belaid, fait diversion. Projet contre projet, les Tunisiens devant à un véritable dilemme. Avaliser la constitution de Saïed, lors du référendum du 25 juillet, c'est lui donner un blanc-seing, avec de très larges attributions, sans garanties réelles de réussite. C'est aussi endosser un caractère conservateur appuyé et une obédience religieuse affirmée. Et c'est, enfin, admettre que les droits et libertés, ainsi que tout l'élan démocratique, ne fassent pas l'objet d'une protection la plus solide et sans la moindre faille. Relégués au second plan, l'aspect économique et social, tout comme l'environnement et, sur un autre registre, la société nouvelle, ne bénéficient pas de la haute priorité qu'ils méritent. Rejeter le texte de Saïed par une abstention au vote ou un non exprimé dans les urnes ne s'adosse à aucune autre alternative clairement dessinée. Les supporters du chef de l'Etat agitent l'épouvantail du retour d'Ennahdha et de la nomenclature d'avant le 25 juillet 2021 et laissent croire que le chaos est à l'affût, mais les Tunisiens savent qu'il n'en sera rien. L'enjeu est ailleurs. L'attachement des Tunisiens aux valeurs de libertés et de démocratie, la vigilance de la société civile, l'Ugtt en première ligne, le contre-pouvoir des médias indépendants et leur pression conjuguée érigent une solide défense contre toute tentative de régression des droits et libertés, de dévoiement de la société, d'emprise autoritaire et absolue sur l'Etat et ses institutions. Kaïs Saïed est-il capable de changer ? Serait-il en mesure de réamorcer le dialogue avec ses contradicteurs, de larges franges de la classe politique non corrompue, des représentants de la société civile et des chefs d'entreprise ? Dialogue signifie écoute, échange et action, et non un simple formalisme de façade. La mise en œuvre de la nouvelle constitution, une fois adoptée, sera-t-elle assouplie et plus proche des attentes des forces démocratiques ? La marge de manœuvre du président de la République est réduite en la matière, cependant de réelles possibilités d'agir et d'amortir certaines dispositions s'offrent à lui. On ne gouverne pas par un passage en force. Rien ne pourra se faire contre la volonté du peuple et au détriment de ses légitimes aspirations. La recherche d'un consensus, aussi minimum qu'il soit, est indispensable. La confrontation politique, encore plus en ces temps de crise économique et sociale aiguë, ne sera que plus redoutable. Garant de l'unité nationale, c'est au chef de l'Etat de resserrer les rangs et de favoriser la mise en commun de toutes les énergies pour surmonter la crise économique et sociale. Une constitution ne suffit pas pour changer la donne. C'est à l'Etat lui-même de créer, sinon la prospérité, du moins le minimum vital. Une large partie des Tunisiens fait face à des situations dramatiques et ne parvient à survivre que grâce aux menus subsides des aides publiques et surtout à l'entraide familiale. Quant aux finances publiques, on connaît leur grave descente aux enfers. Kaïs Saïed a pris de gros risques en dessinant lui-même la nouvelle architecture institutionnelle et en rédigeant la loi suprême. Seul responsable vis-à-vis de tous, il doit alors assumer. Et surtout assurer. Pour cela, il doit changer d'attitude et d'approche. Le grand allié de Kaïs Saïed sera l'ouverture, le dialogue, la concertation et le rassemblement. Ne pas s'y résoudre, c'est courir le risque de soubresauts politiques désastreux, d'enlisement économique périlleux et de troubles sociaux dévastateurs… Alors que la Tunisie a tant d'atouts pour s'en sortir..