Jouant sur les régistres de l'enracinement et de l'ouverture, Bab L'Bluz concentre dans l'album « Nadya » toute la fougue de sa créativité hybride. Crée à Marrakech en 2018, Bab L'Bluz est né de la rencontre de Yousra Mansour et Brice Bottin et de leur rêve de propulser le Guembri (la guitare des Gnawas) sur les scènes musicales internationales. Le mot « Gnaoui » qualifie ce qui vient du Ghana et de Guinée. La musique gnawa est surtout le fruit d'une rencontre, celle entre trois aires imbriquées : le souffle de l'Afrique subsaharienne, l'archipel berbère et l'espace arabo-musulman. Un creuset qui a donné naissance à une musique unique. Gnawa Diffusion (dont le leader, Amazigh Kateb, est le fils de l'écrivain algérien Kateb Yacine), les Tinariwen, l'Orchestre national de Barbès, Kel Assouf, Aziz Sahmaoui, pour ne citer que les plus connus, ont porté cette musique hors du Maghreb. Mais des musiciens internationaux ont su déceler dans ces sonorités afro-berbères la source du blues américain. De Jimi Hendrix, de Santana à Led Zeppelin (Robert Plant et Jimmy Page surtout), les pianistes de jazz Randy Weston ou Omar Sosa sont venus se « sourcer » à cette musique envoûtante. Plusieurs festivals en Afrique du Nord lui sont désormais dédiés, d'Essaouira à Alger. Qu'on la nomme Diwan en Algérie, Stambali en Tunisie et Zar en Egypte, le gnawa est à la fois protéiforme et d'une singularité marquée. Un groupe à la croisée des chemins Le tout jeune groupe Bab L'Bluz trace désormais son chemin dans ce monde protéiforme. Le groupe, quatuor né de la rencontre entre la chanteuse du groupe Yousra Mansour et du musicien Brice Bottin lors d'une résidence à Marrakech autour d'un projet lié à la musique touarègue, sort en effet un très prometteur album Nayda ! Yousra Mansour et Brice Bottin ont commencé à créer le répertoire de Bab L'Bluz, avant que les autres musiciens, tous spécialisés dans l'afro-beat ne s'y greffent. Bab L'Bluz, c'est d'abord la promesse qu'emporte le nom du groupe, Bab signifiant en arabe « Porte ». Le groupe, formé en 2018, offre ainsi une entrée à la source du blues. « Bab L'Bluz rappelle la porte du blues, mais aussi la porte du désert. Nous voulions rappeler que le blues, si intimement lié à l'Amérique, découle de la musique africaine », explique Brice Bottin. « Nayda ! » signifie « se lever » et, par extension, il désigne un mouvement festif. « Nayda est un mouvement marocain récent. Il traduit ce mouvement festif, mais il est aussi une sorte d'éveil intellectuel. Une forme de réflexion et rébellion, un appel révolutionnaire pour comprendre la société arabe. Cet appel est aussi pour la paix, sans révolution violente », explique Yousra Mansour qui a écrit les textes en darija, l'arabe populaire parlé au Maghreb. « Même si je suis d'origine berbère, chanter en darija est la garantie d'être compris de tous », ajoute-t-elle. Nayda, un album fusion Résultat, l'album offre effectivement un son festif, scandé, chaloupé. Les chœurs, les youyous rappellent aussi bien un mariage berbère qu'une procession religieuse. Le gnawa est en effet considéré, en Afrique du Nord, comme une musique aussi bien festive que thérapeutique, invocatoire et oblative. Vibration tellurique qui doit faire lien avec les corps et le ciel, en libation de notes qui coulent lors de cérémonies nocturnes (les leilas, la nuit en arabe). L'islam a ritualisé ces gestes animistes, les intégrant dans des cérémonies de confréries et cultes des saints. « Ces musiques sont coutumières, religieuses, guérisseuses, liées aux énergies spirituelles », rappelle Yousra Mansour. Une musique hybride À partir de ce patrimoine séculaire, Bab L'Bluz réinvente une musique hybride. Un blues arabo-berbero-africain, à la structure pentatonique, syncrétisme du hassani mauritanien, les rythmes berbères, la musique malienne méditative aussi. « Nous nous sommes très vite épris de cette musique. Mais nous ne voulions pas, comme les maâlem (littéralement, « Celui qui sait », chef d'un groupe de gnawas, avec un rôle de transmission), reprendre les airs classiques ou standards de cette musique. Nous avons voulu créer notre répertoire original. Nous avons voulu recréer un son très 70, en référence à Led Zeppelin, ou Jimi Hendrix. Pour retrouver ce son, nous avons enregistré dans un studio analogique », explique Brice Bottin. Le patrimoine musical est enrichi de sons d'origines diverses C'est peut-être là la force de cet album, très ancré dans un patrimoine, mais qu'il retravaille, revisite, et auquel il insuffle un son rock psychédélique. L'album est construit d'abord autour des instruments traditionnels de la musique gnawa. Au cœur de ces rythmes, l'incontournable guembri, instrument à trois cordes fabriqué avec des boyaux de chèvre, avec une caisse de résonance rectangulaire couverte de peau de chameau ou de dromadaire. Chaînon reliant en amont le N'goni d'Afrique de l'Ouest et en aval le banjo d'Amérique du Nord, cet instrument apporte la sonorité si particulière de la musique gnawa. Puis il y a le awicha, une sorte de guembri de taille plus modeste et un octave au-dessus. Dans le groupe, c'est Yousra Mansour qui en joue. Selon Brice Bottin, le groupe a voulu créer une identité sonore très « forte ». « Nous avons inclus les sonorités que nous aimons : rock, avec basse-batterie-guitare. Mais le guembri remplace la basse. La guitare est remplacée par le awicha. Ces instruments passent par un ampli pour obtenir des effets de basse. Nous faisons pareil avec le awicha, ce qui lui donne des effets de guitare. Comme le fuzz ou d'autres sons typiques du power trio et de la musique psychédélique. Cette musique induit une transe ; nous travaillons sur ce même concept, nous jouons sur des ostinatos rythmiques et mélodiques qui s'emboîtent. S'ajoutent des répercussions en métal, (qraqebs ou karkabous) et aussi la flûte si présente dans la musique berbère et en Afrique de l'Ouest avec les Peuls. ».