Alors que le nombre de contaminations au coronavirus flambe en Tunisie, le gouvernement est confronté à un dilemme : recourir à de nouvelles restrictions draconiennes, dont le reconfinement général, et provoquer un effondrement de l'économie, avec son corollaire de faillites d'entreprises d'envolée du chômage ; ou continuer à prendre des mesures plus souples au risque de faire face à une submersion des hôpitaux et à une hausse vertigineuse des décès. Face au manque de données sur l'évolution probable de l'épidémie, les autorités n'arrivent pas à mettre la jauge au bon niveau et à bien mesurer le rapport coût/bénéfice de chaque mesure. Dans cet entretien, le Professeur Amine Slim, ancien chef de service du laboratoire de virologie de l'hôpital Charles Nicolle de Tunis et actuel expert auprès de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), nous apporte plus précisions sur l'évolution attendue de la courbe de contaminations durant les prochaines semaines. Entretien. Le Temps: Alors que la Tunisie est sur une courbe de contaminations assez rapidement ascendante, faut-il prendre des mesures plus drastiques, dont le reconfinement de la population, pour éviter une saturation des hôpitaux ? Pr Amine Slim : Le confinement général constitue la meilleure des solutions pour endiguer le rebond d'une épidémie car c'est l'arrêt des contacts physiques et interactions sociales au sein de la population qui permet d'arrêter la contamination. Mais le confinement est toujours une décision politique. Pour le gouvernement, une telle option est pour le moment écartée tant son coût socio-économique serait intenable pour le pays. D'un point de vue purement scientifique, c'est déjà trop tard pour décréter le confinement car nous sommes à deux doigts du pic de la deuxième vague épidémique. Dans ce sens, confiner les gens n'empêchera pas la circulation du virus car sa transmission sur poursuivra au niveau des familles et sur les lieux du travail. On aurait dû le faire depuis le mois de septembre pour briser les chaînes de contaminations. Cela veut-il dire que le reconfinement de la population actuellement n'aura aucun effet sur la courbe des contaminations ? Le confinement servira peut-être à étaler la courbe des contaminations dans le temps, c'est à dire au lieu d'avoir tel ou tel nombre de personnes infectées sur une durée de 15 jours on l'aura sur une durée d'un mois. Mais à la fin on aura le même nombre de décès. Toutefois, un confinement sanitaire pourrait diminuer la pression les hôpitaux et empêcher un effondrement du système de santé. Si on est très proche du pic épidémique pour cette deuxième vague comme vous le dites, peut-on espérer un reflux de l'épidémie dans quelques semaines ? Une épidémie se déroule par vagues dont chacune prend la forme banale d'une cloche. La courbe épidémique comprend une phase ascendante, un pic, une phase de plateau, puis une phase descendante appelée aussi la décrue épidémique. Le pic correspond au nombre le plus élevé des contaminations et au moment qui précède l'infléchissement de la courbe des contaminations. La phase de plateau désigne la stabilisation du nombre de nouveaux cas, d'hospitalisations ou de décès enregistrés chaque jour dans un pays alors que la décrue signifie la baisse des nouvelles contaminations et des nouveaux décès enregistrés chaque jour dans un pays. Vu que nous sommes actuellement presqu'au pic, je pense que la courbe des contaminations entrera dans une phase descendante dans deux semaines, c'est-à-dire à partir de la mi-novembre. Y aurait-il une troisième vague épidémique quelques semaines ou quelques mois seulement après la fin de la deuxième vague ? Théoriquement, il y aura une troisième vague, et d'autres, jusqu'à l'immunité collective, vaccinale ou naturelle. A mon avis, la troisième vague aura lieu l'automne prochain. Mais, on espère qu'un vaccin efficace sera disponible entre mars et juin 2021, vu que nous sommes encore loin de l'immunité collective. Selon l'OMS, nous en serions au maximum à 10 % de personnes infectées au niveau mondial. De plus, on ne sait pas encore combien de temps dure l'immunité découlant d'une première infection. W.K.