C'est une première! Il a sans doute peu de chance d'atteindre la cible, mais le coup est parti: le fisc américain, par voie de justice (américaine) met en demeure la banque suisse UBS de lui communiquer l'identité de 52 mille clients américains titulaires de comptes secrets illégaux. Les Américains estiment qu'en l'occurrence pas moins de 14,8 milliards de dollars représentent le flux chiffré d'évasions fiscales. Pour sa part, la banque suisse avait cherché à transiger proposant un dédommagement de 780 millions de dollars, s'assumant donc de facto, comme paradis fiscal, mais n'entend guère se plier à l'injonction américaine en vertu de la souveraineté garantie par la Suisse. On sait depuis toujours que le "Secret-Banque" en Suisse est tout autant sacralisé que le "Secret-Défense" en Amérique. On sait que les comptes suisses sont codés, inaccessibles, inexpugnables et non saisissables dans le sens juridictionnel du terme. Sur le plan formel, cette affaire relève du Droit International Public. Et dans les cas d'espèces, comme disent les juristes, il n'existe guère de loi supranationale à même d'obliger la Suisse à violer sa propre "souveraineté bancaire" et à révéler l'identité de clients dont on s'imagine bien qu'ils ont tous quelque chose à cacher à leurs pays d'origine. Mais cette affaire soulève tout de même une lancinante problématique . "le droit, dit-on, est la morale de ceux qui n'en ont pas". Or, cette boutade plutôt réductrice, fait que la morale et, par delà la morale, l'éthique, abdique face à la mécanique inexorable, insensible de la règle de droit. Il n'est donc guère d'autorité juridictionnelle, guère de Cour internationale – et même pas la Cour de justice de La Haye – à même d'imposer aux banques suisses de révéler les secrets de ces clients dont des milliers jonglent avec l'évasion fiscale et détournent de ce fait les deniers de l'Etat. C'est comme cela que fonctionne la Suisse. Rien ne l'oblige à renoncer à ce qui a contribué à forger cette mythologie de paradis fiscal, la sanctification du secret bancaire et la dépersonnalisation des rapports avec des clients parmi lesquels on trouve de tout… Il n'empêche: ce coup de boutoir remet un tas de choses en question. Et d'abord au sein de l'Amérique elle-même qui n'entend plus fermer les yeux sur des pratiques jadis tolérées et même encouragées. Car le chiffre de 14,8 milliards d'actifs détournés dans la seule banque UBS est impressionnant. En tous les cas, le fisc américain et Washington ont eu le courage de le faire. Si d'autres Etats ou monarchies beaucoup moins puissantes ont le courage d'en faire autant, la Suisse et tous les autres paradis du monde finiront peut-être par conférer à leur vocation une composante éthique, morale. Car bien des capitaux codés proviennent de pays pauvres.