Mardi dernier, les trombes d'eau qui se sont abattues sur la capitale en moins d'une demi-heure ont, comme à l'accoutumée, bloqué la circulation dans les principales artères de la ville. Les automobilistes que l'orage surprit ont éprouvé toutes les peines du monde pour échapper aux nombreux embouteillages que la soudaine intempérie avait provoqués. Parmi ceux que les pluies torrentielles terrorisent plus que la peste et toutes les pandémies réunies, on doit citer les chauffeurs de taxi qui craignent pour leurs véhicules les mille et une pannes successives aux fortes précipitations. Avant-hier, des dizaines de citadins attendaient désespérément le passage d'un taxi du côté de Bab Alioua, d'El Ouardia, de Montfleury et sans doute dans plusieurs autres zones périphériques de Tunis. Les voitures jaunes se sont volatilisées et les rares taxis qui circulaient encore n'étaient pas libres ou bien traversaient la rue sous votre nez sans que leurs conducteurs daignent vous regarder. On était à moins d'une heure de la rupture du jeûne et la crispation commençait à se lire sur les visages des plus pressés. Nous nous sommes rapprochés de trois d'entre eux et les avons interrogés sur leurs destinations respectives : le premier allait à Mellassine, le second à El Omrane et l'autre devait se rendre à l'hôpital Charles Nicolle pour une urgence. Une précaution légitime " Je ne peux pas rentrer à pied dans l'état d'épuisement où je me trouve en ce moment. D'autre part, je ne suis pas seul. Ma mère, malade et très âgée, ainsi que ma fille m'attendent là-bas devant la station d'essence ", c'est ce que nous confia l'habitant de Mellassine. Les deux autres n'ont pas pu nous en dire plus parce qu'ils étaient tout à leur quête de l'oiseau rare ! Rencontré quelques minutes avant le coup de canon ramadanesque, un chauffeur de taxi de notre voisinage nous expliqua que ce que les gens prennent pour des agissements inciviques, sont en réalité des choix forcés que dicte la crainte des pannes très coûteuses : " Ecoutez, nous dit M.Lazhar, vérifiez par vous-mêmes demain dans les ateliers des garagistes. Tous ceux qui ont assuré des courses pendant l'orage de tout à l'heure et surtout en ville iront y réparer leur moteur ou d'autres pièces de la voiture. Le chauffeur de taxi, lui, travaille sur son véhicule à la différence des autres automobilistes ; sa voiture est son unique gagne-pain. Les précautions qu'il prend pour ne pas l'abîmer sont donc tout à fait légitimes et les citoyens qui sollicitent nos services par mauvais temps doivent comprendre et excuser les collègues qui enlèvent leurs plaques lumineuses et évitent les zones inondées. Pour ce qui est du monsieur qui devait rentrer à Melassine, personnellement je l'aurais pris et rapproché le plus possible de chez lui ; parce qu'il y a moyen de contourner les artères submergées. Mais pour gagner Le Bardo et El Omrane, le risque est grand de devoir passer par Bab Saadoun et là c'est le bouchon et la " noyade " garantis. Pour vous dire la vérité, la faute est à ces voitures fragiles que nous conduisons : les moindres secousses les esquintent, le mauvais temps et la canicule leur sont tout ensemble déconseillés, la conduite trop lente ou trop rapide leur sont néfastes. Bref, notre métier nous expose à toutes sortes d'aléas. Mais d'un autre côté, nos villes sont très mal équipées pour une évacuation adéquate et instantanée des eaux de pluie. Ailleurs, il n'y a que les grandes crues qui bloquent tout dans les agglomérations urbaines ; chez nous, même les averses dérangent la circulation et sèment la zizanie sur nos routes ! " Drôle de logique Faut-il abonder dans le sens de Si Lazhar ou bien rejeter sa logique qui autoriserait, si elle était généralisée, tous les fonctionnaires ou prestataires de services à déblayer dès que leur outil de travail court un quelconque risque ? Est-il vrai par ailleurs que les réparations des pannes évoquées par notre interlocuteur coûtent aussi cher qu'il le prétend ? Dans ce cas, à quoi servent les assurances payées pour justement amortir les frais de ce genre? S'agirait-il de contrats " bidons " ou bien nos taximen veulent-ils engranger des bénéfices et n'enregistrer aucune perte ?