Il y a quelques mois, une rumeur courut, presque partout en Tunisie, que la STEG allait exonérer du paiement de leurs factures d'électricité tous ceux qui se présentaient à ses guichets à une date précise. C'était, en avril dernier, mais on n'était pas le 1er du mois. Une majorité de gens de notre entourage y a cru et certains sont même allés, facture à la main, dans l'un des services de la société, espérant bénéficier de la prétendue gratuité. Au marché central de Tunis, deux marchands de fruits nous confirmèrent la nouvelle et jurèrent qu'ils l'avaient apprise à la radio. Persuadés au départ qu'il ne s'agissait que d'un poisson d'avril à effet rétroactif, nous dûmes après une troisième confirmation donnée par un voisin, d'ordinaire sérieux, vérifier l'information auprès d'une parente fonctionnaire à la STEG. Celle-ci n'en savait rien et s'informa elle-même auprès de ses collègues. Il s'agissait finalement d'un canular. Mais la rumeur circula encore le reste de la journée et même le lendemain dans plusieurs villes tunisiennes. En fait, cette rumeur est un peu comme les mythes et les rêves : elle mérite interprétation. La facilité avec laquelle cette rumeur s'était répandue ne traduit-elle pas le désir inavoué et commun à l'immense majorité des consommateurs tunisiens d'être une fois, une seule, dispensés de payer la facture d'électricité ? N'est-ce pas significatif que la fausse nouvelle ait porté sur la facture de la STEG et non sur d'autres factures ? En tout cas et dans ses rapports avec cette société, le Tunisien nourrit plusieurs rêves dont voici quelques échantillons.
Ah ! Si j'étais à la STEG ! Chacun de nous ou presque aimerait voir l'un de ses enfants faire partie des 9000 employés et fonctionnaires de la STEG pour bénéficier comme eux de centaines, voire de milliers de kilowatts gratuits, tous les deux mois. Certes, les agents de la STEG ont d'autres privilèges et jouissent d'autres services bénévoles, mais le Tunisien tient beaucoup plus à la gratuité de l'électricité, énergie devenue essentielle, pour l'accomplissement de nombreuses tâches ménagères et professionnelles. Ses besoins en électricité et en gaz s'accroissent constamment en raison des nouvelles commodités de la vie qui imposent la consommation : éclairage, préparation et conservation des aliments, bains et lavage, climatisation, repassage, chauffage, branchements électroniques, loisirs et jeux, recharge d'appareils etc. Si au moins le coût en était faible ou du moins fixe. En effet, aux majorations régulières dans le prix du kilowatt, il faudrait ajouter des taxes, des surtaxes, des redevances, des contributions toujours nouvelles, toujours difficiles à calculer et parfois indues pour le citoyen. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la facture qui parvient au consommateur contient 20 rubriques et se lit au recto et au verso. Il y a d'autre part lieu de se demander si le français dans lequel la STEG explique ses prestations sur ce document est accessible à tous les abonnés et si ce n'est pas une manière d'obliger une bonne partie de ces derniers à ne pas chercher à comprendre les montants signalés.
Jamais de remise ! Le Tunisien souhaite donc de voir le nombre des rubriques baisser sur la facture et bien sûr que baisse en même temps le prix du kilowatt. Car comme le prix des médicaments en pharmacie, celui de l'électricité est toujours en augmentation. On a invoqué l'année dernière le coût élevé des carburants, mais quand celui-ci a baissé de plus de la moitié, on ne nous a consenti aucune ristourne sur le prix de l'électricité. Cette année, ils ont déjà une justification toute prête : la crise financière internationale ! Pour la contribution au profit de la RTT, l'excuse est connue : il s'agit d'une loi apparemment immuable qui s'applique même à ceux qui n'ont ni poste-radio ni téléviseur ! Quant à la surtaxe municipale, c'est un décret qui l'impose et là non plus, il n'est pas permis d'en discuter. Autre décret, autre taxe et autre redevance indiscutable : la TVA que tout le monde paie à des taux relativement élevés. En bref, on n'accorde aucune remise nulle part et la seule faveur accordée depuis maintenant quelques années, c'est de ne pas couper le courant pendant l'Aïd ! Quelle bonne nouvelle pour les mauvais payeurs ! Mais comme dit le proverbe de chez nous et que la STEG a visiblement adopté : « l'exemption accordée vendredi ne tiendra pas jusqu'à samedi ». Autrement dit, après les jours de fête, la société passera aux choses sérieuses avec ses clients endettés. Et si la faveur s'étendait à un mois, par exemple pendant le Ramadan de chaque année ! Ne serait-ce pas une bonne action pour laquelle les responsables de la STEG seraient un jour récompensés !
Heureux tricheurs ! On aimerait aussi faire partie de ces chanceux consommateurs qui savent truquer leurs compteurs (placés à l'intérieur du domicile) et qui ne paient qu'un très faible montant contre une dépense d'énergie double ou triple. Il y en a, et les fonctionnaires de la STEG ne l'ignorent peut-être pas, qui s'adonnent à ce genre de tricheries depuis longtemps et qui agissent aujourd'hui encore dans l'impunité. Ah si nous pouvions oser de telles fraudes ! Ah si nous avions un compteur bien caché à l'intérieur de la maison ! Ah si nous savions comment faire pour consommer autant d'électricité que nous voulons et ne payer qu'une dizaine de dinars tous les deux mois ! Mais, parce que nous ne pouvons pas tricher, et bien que nous fassions tout pour économiser l'énergie, nos factures sont toujours « douloureuses » et la STEG ne fait toujours rien pour les « calmer » !