Le Pr. Hechmi Louzir, Directeur de l'Institut Pasteur nous fait parvenir, lui aussi, cette réaction pour le moins indignée. Précisons que « Le Temps » n'a fait que reproduire et rapporter des termes réellement utilisés. Par ailleurs, le Pr. Hechmi Louzir sait parfaitement que nul n'est à l'abri de certaines « révisions » impromptues de l'histoire et que, partout la tentation révisionniste est latente. « Dans la rubrique « Proximité » du journal Le Temps, un article, pour le moins surprenant, accuse le grand médecin, savant et humaniste, Charles Nicolle, d' «essais sur les indigènes tunisiens» et déclare qu'il est «exclu » du « Musée de la médecine tunisienne». Cet article, dénué de tout fondement historique, porte préjudice à la communauté pastorienne. Il mérite précisions et corrections. Que le prétendu « Musée de la médecine tunisienne de la société tunisienne d'histoire de la médecine et de la pharmacie » passe sous silence la contribution du savant Charles Nicolle pourrait à la rigueur s'expliquer par une lacune historique, un manque d'ouverture ou encore par le choix de limiter son champ d'investigations à l'histoire de la médecine arabe. Mais dire que « Charles Nicolle est exclu du musée de la médecine tunisienne » relève de la pure imagination et d'obscurantisme. Charles Nicolle occupe dans le cœur des Tunisiens une place privilégiée en raison de son œuvre immense dans la lutte contre les maladies infectieuses. A travers son engagement pour l'amélioration des conditions de santé des populations, une communauté pastorienne s'est constituée sur tous les continents, autour de l'œuvre de Louis Pasteur formant aujourd'hui un ensemble remarquable au service d'une cause des plus nobles. Les membres de cette communauté, maillons d'un vaste réseau, peuvent être fiers de poursuivre l'œuvre de Louis Pasteur. La découverte par Charles Nicolle, en Tunisie, en 1909, de la transmission du typhus exanthématique, fléau redoutable, est d'une telle importance que Jean Rostand a affirmé : « Jamais il n'y aura assez de gloire et de gratitude pour ces hommes - tels Charles Nicolle - qui, sans faire couler le sang humain, ont su changer le cours de l'Histoire ». Charles Nicolle n'a rencontré Louis Pasteur qu'une seule fois, peu avant sa mort. Il n'a jamais été son élève (comme mentionné dans l'article). Il a été l'élève de deux pastoriens de la première heure, Elie Metchnikoff et Emile Roux. Délaissant sa Normandie natale, il est venu s'installer en Tunisie où il a dirigé l'Institut Pasteur de Tunis pendant plus de trente ans, de 1903 à 1936. Prix Nobel en 1928, professeur de médecine expérimentale au Collège de France en 1932, philosophe et écrivain, Charles Nicolle est surtout célèbre pour la découverte de la transmission du typhus par le pou (et non la puce, comme mentionné dans l'article). Il est aussi le père d'idées originales et fécondes sur les maladies infectieuses, leur naissance et leur disparition, et surtout le concept extrêmement original d'infections inapparentes. Ce concept a trouvé toute sa mesure dans les infections par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) et plus récemment par le virus de la grippe H1N1. À propos de l'essai expérimental du typhus, Charles Nicolle, dès 1903, a commencé à étudier la maladie et a failli d'ailleurs en être victime. Il avait remarqué qu'à l'entrée de l'hôpital Sadiki, le typhus se transmettait entre individus en attente d'hospitalisation et constaté que ces individus, une fois débarrassés de leurs vêtements, lavés et revêtus de l'uniforme de l'hôpital, n'étaient plus contagieux. Il eût alors la conviction que le pou représentait le vecteur de la maladie. Il lui fallait cependant en apporter la preuve. Le Secrétaire général du Gouvernement tunisien, Urbain Blanc, lui ayant suggéré de faire l'essai sur un condamné à mort qui serait gracié, Charles Nicolle rejeta catégoriquement l'idée. En compensation, il obtint une subvention pour l'achat de chimpanzés qui lui permirent de confirmer son idée de la transmission expérimentale du typhus exanthématique par le pou du corps. L'allégation rapportée dans l'article, selon laquelle le savant a « procédé à des essais directs sur des malades tunisiens » est donc dénuée de tout fondement. Cela m'a été confirmé par le professeur Amor Chadli, ancien directeur de l'Institut Pasteur qui le tient du fils du savant, le Dr Pierre Nicolle, lui-même. Cette information se retrouve également dans Le pommier et l'olivier paru en 1995, ouvrage du Dr Maurice Huet, ancien chef de laboratoire de Bactériologie à l'Institut Pasteur de Tunis. Pour conclure, il faut rappeler que Charles Nicolle a beaucoup aimé la Tunisie qui l'a adopté. Il a demandé à être enterré à l'Institut Pasteur de Tunis où il repose. Sur sa tombe, on peut voir deux rameaux entrelacés, pommier et olivier, symboles de sa Normandie natale et de la Tunisie adoptive. L'ancien hôpital civil français de Tunis porte son nom depuis le 6 janvier 1944. En 1953, l'Hôpital général de Rouen décida également, en reconnaissance de ses travaux, de prendre son nom. Bien sûr que Charles Nicolle était Français de naissance, mais Tunisien de cœur. Il fait partie de cette lignée de savants dont l'envergure a largement dépassé les frontières, comme disait Louis Pasteur : « La Science n'a pas de patrie, parce que le Savoir est Patrimoine de l'Humanité ».