Les débuts sont généralement timorés dans la compétition, inaugurer une compétition ne relevant pas du privilège dans la tradition cannoise. « Tournée » est une exception qui, espérons le, sera annonciatrice de l'excellente teneur (du moins sur le papier) des films sélectionnés. De Mathieu Amalric on connaît surtout l'acteur, d'Arnaud Depleschin aux frères Larrieu, son visage est associé à un cinéma d'auteur français exigeant, fragile et intelligent. Le cinéma d'Amalric est plus confidentiel , même si sa carrière d'acteur est concomitante avec ses débuts d'acteur au milieu des années quatre-vingt. « Tournée » est le quatrième long-métrage réalisé par Mathieu Amalric, et le premier où il est à la fois derrière et devant la caméra. Joachim Zand revient d'Amérique avec un spectacle de « New burlesque » où l'effeuillage se transmute en un exercice de style où la chorégraphie, le théâtre, la parodie sont autant d'instruments de détournement du statut attribué au corps féminin par la société marchande. La tournée que Zand (Mathieu Amalric) entreprend avec ses danseuses se déroule dans des salles de province, Bastringues et lieux un peu mieux lotis avec pour couronnement une date à Paris que Zand à du mal à négocier. Dans la troupe, il y a tout d'abord Mimi Le Meaux, blonde incendiaire, belle mélancolique et lumineuse, une Geena Rowlands directement sortie d'un film de Cassavettes, ensuite Kitten on the Keys, chanteuse et musicienne, elle est la maîtresse de cérémonie du cabaret new burlesque, Dirty Martini boulotte, enjouée et débordante de vie, Julie Atlas véritable danseuse et enfin Evie Levolle, angélique et lubrique, la plus fragile et la moins expérimentée. Enfin Roky Roulette, le seul homme de la troupe, détendu, rigolard et bien dans sa peau. Dans ce monde de femmes, Joachim Zand est comme un poisson dans l'eau, aimant, attentionné tout en sachant manier la fermeté. Le spectacle qu'il fait tourner est pour lui un motif de fierté et une manière de se refaire une place dans le monde du spectacle qu'il a quitté pour les Etats-Unis en plaquant tout : une carrière de producteur à la télé, femme et enfants. Du passé de Zand on ne saura rien ou presque, l'évolution de la trame du film laisse entrevoir ses fêlures. Passionné, jusqu'au-boutiste, versatile, sa trajectoire erratique est à l'image du film affranchie de toute nécessité dramatique. « Tournée » est fait de ruptures, de moments saisis sur le vif. Ses discontinuités font sa modernité et l'humanité du cinéma d'Amalric. Les enjeux du film se situent ailleurs que dans un scénario bien ficelé, ils résident dans ces silences, dans les éclats de rire des ces artistes que le réalisateur a réussi à fédérer, dans ces passages brusques du sourire aux larmes, du désamour à l'étreinte charnelle. S'il fallait trouver une parenté à « Tournée », elle serait à chercher du côté du Cassavettes de « Meurtre d'un bookmaker chinois » avec cet entrelacement entre fiction et documentaire, artifice et improvisation. Un film d'acteur sur des actrices, Amalric rend avec « Tournée » un vibrant hommage à ces véritables vedettes de la contre-culture américaine qui le lui rendent de la meilleure des manières : En insufflant à ce film une énergie qui l'installe dans une douce mélancolie.