A la sortie du spectacle musical et poétique donné jeudi soir à Carthage, en hommage à Sayyed Dérouiche et à Mahmoud Dérouiche, la première grande impression que l'on pouvait aisément recueillir au milieu de la foule concernait la prestation quelconque, voire ratée de l'acteur Jamel Madani dans son rôle d'aède récitant les vers du grand poète palestinien. Le comédien a beau jouer sur son imposante silhouette et sur son air de troubadour errant aux quatre coins de l'amphithéâtre, sa déclamation hésitante et presque neutre défigura quelque peu les messages contenus dans les poèmes lus. Mais Madani, dont on contesta même la participation, n'étai pas la seule fausse note du spectacle. Les danseuses de l'ensemble avaient à leur tour l'air d'être de trop : d'abord, on n'arrivait pas à suivre convenablement, à cause des voiles du décor, leurs mouvements désordonnés et parfois injustifiés. Les quelques tableaux que nous pûmes distinguer n'étaient guère pour nous impressionner malgré la beauté relative de la première scène accompagnant l'apparition de Dorsaf Hamdani. Quant au décor qui évoquait la soif de liberté et d'idéal, il nous cachait une grande partie de l'écran géant où défilaient par intermittences des images de toiles de peinture plus ou moins réussies et manquant parfois de cohérence thématique, artistique ou poétique. L'éclairage et les jeux de lumière laissaient à désirer dans certains tableaux et trahirent par moments une mauvaise coordination entre les acteurs de la scène et les techniciens de la régie. De rares satisfactions La voix de Dorsaf Hamdani et la performance de l'orchestre dirigé par Ridha Chmak sauvèrent néanmoins le spectacle du fiasco total. On ne peut presque rien reprocher à ces artistes qui s'évertuèrent à honorer « proprement » la mémoire et l'art de deux sommités de la musique et de la poésie arabes. Nous déplorons tout de même le ton monocorde de certains morceaux parmi les moins réussis du récital. Pour tout dire, et nonobstant les qualités soulignées et la bonne volonté des concepteurs de ce spectacle sans doute trop ambitieux pour les moyens mis à sa disposition, « Dérouiche, Dérouiche » est à classer parmi les déceptions de la 46ème édition du Festival de Carthage. La longue ovation qu'on réserva à l'ensemble, en fin de soirée, ne doit pas nous cacher les nombreuses lacunes du spectacle. Et ce ne sont pas les deux Dérouiche qui nous contrediraient s'ils ressuscitaient et évaluaient cette création qui leur cause quand même quelques torts ! C'est toujours louable de s'inspirer des grands et de leur rendre hommage ; encore faut-il retenir les bonnes leçons que nous apprennent leurs arts respectifs. Jeudi soir, il manquait au spectacle de Madani, Hamdani et Chmak ce génie humble qui sublime les scènes les mots les plus anodins pour en tirer de petites merveilles immortelles. Une chose est donc certaine pour notre trio : leur œuvre fera long feu et sombrera très vite dans l'oubli, si elle n'est pas retouchée dans le bon sens. Nous ne sommes pas les seuls à craindre le pire pour « Dérouiche, Dérouiche » !