Leonardo DiCaprio dans la peau d'un voleur d'idées qui n'opère que dans les rêves des gens. Marion Cotillard en femme fatale projetée dans le subconscient de DiCaprio. Et Christopher Nolan en extraordinaire faiseur/manipulateur de rêves… Voici le blockbuster de l'été. Des séances affichant complet des heures à l'avance. Des files d'attente qui font le tour du pâté de maisons. De la folie, ou peut-être une passion du cinéma, tout simplement. Parmi les spectateurs : aussi bien des amateurs de science-fiction, de films d'action que de scénarios bien cérébraux. Car Christopher Nolan, le réalisateur américain en pleine puissance et maîtrise de ses moyens, a trouvé la bonne formule pour un film destiné à tout le monde : travailler sur le rêve. Le rêve, malgré toutes les théories psychanalytiques ou artistiques, reste le plus grand mystère de tous les temps et de tous les âges. Le réalisateur de « Batman Begins » et de « The Dark Knight » caressait depuis longtemps le désir d'écrire un long-métrage sur le rêve. Et il y est parvenu, maintenant qu'il a fidélisé son public. Grand maître de la mise en scène, de la narration mouvementée et des scènes d'action, Nolan n'en oublie pas de sonder la psychologie de ses personnages. Les histoires qu'il raconte en deviennent profondes, plus humaines, plus près du public – sans candeur , et donc moins « commerciales ». C'était donc exactement ce qu'il fallait pour ce film dont la majorité de l'action se passe dans les rêves. Cobb (Leonardo DiCaprio, toujours aussi impressionnant de maturité) est ce qu'on appelle un « extracteur ». Il est payé par des multinationales pour s'immerger dans les rêves des gens et leur voler des secrets. Mais Cobb est un personnage blasé, presque désespéré ; veuf, il porte un secret douloureux dont il ne permet l'accès à personne, et il ne peut plus retourner aux Etats-Unis où vivent ses enfants. Jusqu'à ce qu'un homme d'affaires japonais (Ken Watanabe), victime d'extraction, propose de le rapatrier en échange d'une pratique dangereuse : implanter une idée dans l'esprit d'un dénommé Fischer (Cillian Murphy), fils d'un adversaire agonisant. Il s'agit de l'« inception ». En anglais, « inception » signifie « commencement », « début ». Et c'est sur la base de cette notion qu'est construite toute la logique du scénario. Cobb et ses coéquipiers vont jusqu'aux origines des sentiments de Fischer pour les exploiter, les manipuler et y faire germer leur idée. De même que la jeune Ariane (Ellen Page), fraîchement recrutée comme architecte des rêves, va essayer d'aller aux origines de la douleur de Cobb afin de deviner pourquoi sa défunte femme, Mall (Marion Cotillard, dotée d'une grâce extraordinaire), revient dans ses rêves en femme fatale qui sabote son travail. Action et émotion L'émotion est là, intacte, palpable. Nolan la révèle bout par bout et lui donne un sens. Cobb est tourmenté parce qu'il porte cette profonde culpabilité qui le rend vrai dès les premières scènes, et à laquelle on ne comprend pas grand-chose immédiatement, mais que l'on devine. Ne pouvant plus rêver normalement, le héros a bâti des niveaux de souvenirs où il retrouve son épouse en colère et les têtes tournées de ses enfants, parfois un train qui passe, une grande ville vide. Autant de projections de son subconscient qu'il a du mal à contrôler quand il est en mission. Cette authenticité de l'émotion est conjuguée merveilleusement à la maîtrise de la science du rêve. Evidemment, nous sommes bien loin des rêves de Michel Gondry (« Eternal Sunshine of the Spotless Mind »), pour ne citer que lui. Mais quelques concepts psychanalytiques, et à la limite du surréalisme de Breton, ont suffi au réalisateur de « Momento » pour construire un scénario cohérent : puisqu'un rêve semble toujours réel quand on est dedans, tout peut nous paraître crédible ; le subconscient a une activité accélérée, ce qui dilate le temps ; quand on est tué dans le rêve, on se réveille ; etc. Cependant, science-fiction oblige, Nolan explore d'autres notions, comme celle des rêves emboîtés, des subconscients synchronisés, des limbes où est condamné à errer un esprit mal réveillé. La fascination et la peur du rêve rend le suspense encore plus fort, l'angoisse plus réelle. Car le spectateur réfléchit aussi, rêve. D'ailleurs, l'esthétique du film est irréprochable. Certaines scènes, comme le Paris qui se plie en deux tel un livre, les flashes-back, les rêves qui s'effondrent, sont à couper le souffle. « Inception », avec ses lenteurs pardonnables, est une réussite totale, autant pour le jeu des acteurs (la réserve altière de Joseph Gordon-Levitt, la classe de Cillian Murphy, etc.), que pour l'écriture du scénario, que pour sa projection dans le réel… ou dans l'irréel ?