Le méga spectacle « Hadhra 2010 » de Fadhel Jaziri a fait couler beaucoup d'encre depuis son avènement sur la mythique scène du théâtre romain de Carthage. Les impressions recueillies à chaud par certains correspondants de télévision auprès du public étaient mitigées, et certains propos, empreints de subjectivité manifeste, formulés avec une animosité injustifiée et un sarcasme incompréhensible ont failli porter lourdement préjudice à la carrière naissante du spectacle du fait qu'il n'était qu'à ses débuts et qu'il était programmé dans plusieurs festivals à travers le territoire de la république. Le soir du 19 août, Fadhel jaziri et son beau monde étaient parmi nous à Djerba, après un long périple à travers d'autres régions, comme Bizerte, Sousse, Monastir, Hammamet, Sfax, etc… où ils ont laissé de meilleures impressions rassurantes et réparatrices. Au vu de la présence massive des spectateurs, la crainte du désistement du public tant inespérée par les organisateurs n'était qu'un mauvais rêve, et il était à comprendre que les premiers échos peu flatteurs dont avait vent le public insulaire ne l'avaient nullement dissuadé et n'étaient que pour l'inciter, au contraire, à se rendre en masse pour assister au spectacle de la « Hadhra 2010 », au show des cent quatre vingt acteurs, entre interprètes et techniciens. Il n'avait pas tort, ni à le regretter. L'entrée en la matière ne s'est pas faite trop attendre ; l'apparition, à 22 :30, de cette marée humaine en costumes traditionnels colorés, d'une beauté singulière, davantage embellie par ces étendards multicolores brandis haut la main, allusion à ceux des confréries religieuses, progressant solennellement pour prendre possession de la scène qu'elle a surchauffée en l'espace de quelques minutes, a impressionné l'assistance et égayé l'atmosphère régnante. Les neufs solistes à la voix forte et confirmée, accompagnés des nombreux choristes, ont interprété à merveille des chants puisés dans le répertoire soufi, tel que transmis par la tradition confrérique, mais recomposé et retranscris sans dommage par Fadhel Jaziri pour l'occasion. Il y avait beaucoup de danse ce soir-là, fait inhabituel, donc contesté par les adeptes intransigeants de la Hadhra version 1991, exécutée par des danseurs et danseuses à travers des chorégraphies variées, aux rythmes tantôt doux et amples, tantôt époustouflants, entrainants et enivrants se succédant sans relâche, tenant en haleine deux heures durant un public envoûté, appréciatif, applaudissant vivement les performances de tous les acteurs, danseurs, chanteurs et instrumentistes.. Une nouvelle mise en scène était à l'ordre du jour, perceptible aux changements à répétition de positionnement des acteurs sur scène, et à leurs mouvements intenses et incessants, s'inscrivant dans ce contexte du renouvellement du patrimoine et de la quête de l'innovation dans l'art prônée par le concepteur du show, désireux de rompre avec la monotonie de la répétitivité. Fadhel Jaziri a joué la carte de la jeunesse en faisant appel à de jeunes artistes qui ne demandaient qu'à confirmer leur talent et s'épanouir, recrutés dans les conservatoires et les écoles de musique, et il n'avait guère tort au vu de leurs performances vocales et leur savoir-faire, et nul, en somme, n'est en droit de lui en contester le droit, et surtout le mérite. Il a opté pour l'innovation et l'ouverture sur l'avenir, sans rupture avec le passé et les origines ; or, en voulant se remettre en question au sujet de la création artistique, et retranscrire l'héritage soufi dans le langage de notre temps pour le réinvestir dans la perspective d'un show original, autrement dit en cherchant à renouveler l'écriture scénique et la mise en scène de « la Hadhra », et en osant faire entremêler luth, mezoued, et bendir avec guitare, saxophone et violon qui n'ont , à notre humble avis, en aucun moment mis en cause la vocation soufie des chants interprétés, il a peut-être choqué plus d'un à Carthage, d'où leur désillusion, parce qu'on ne s'attendait pas à un tel changement et à une telle ambiance et qu'on n'y était en fait que pour revoir son ancienne « Hadhra » chérie, mais ce soir du 19 août au théâtre de plein air de Houmt-Souk, le public a réagi autrement et il a bel et bien apprécié le spectacle, qui a bénéficié quasi unanimement des faveurs des jugements pour clore en toute beauté cette 38è session du Festival International d'Ulysse.