Par Lilia Rebaï - Enseignante universitaire, - Cofondatrice du Front Laïque pour la Démocratie et les libertés - L'élection de notre Assemblée constituante, fixée au 24 Juillet 2011 est un moment rare qui sera consigné dans les annales de notre pays et qui sera inclus dans les manuels scolaires de nos enfants et de nos petits enfants. Cette élection fera de nous des privilégiés qui auront participé à écrire une page cruciale de l'Histoire de la Tunisie. C'est le couronnement d'une révolution qui a manifesté le courage de celles et de ceux qui ont combattu pour l'obtenir. Notre peuple, a consenti à payer le prix du sang de ses enfants pour mériter sa liberté et le droit d'écrire cette Constitution. L'Assemblée constituante devra proposer au peuple tunisien une Constitution, qui faut-il le rappeler, est le texte fondateur d'un Etat démocratique, la loi fondamentale qui détermine l'ensemble des rapports qui régissent l'organisation du pouvoir politique au sein de cet Etat. La Constitution est également le pilier qui garantira les droits et les libertés des Tunisiens et limitera les prérogatives de ceux qui seront appelés à exercer les pouvoirs. C'est pour cela que la Constitution doit revenir au peuple et doit émaner du peuple. C'est pour cela également qu'il revient au peuple non seulement d'élire l'Assemblée constituante mais d'en faire partie intégrante. Qui, en effet, peut porter la voix du peuple sinon le peuple lui-même ? Cette question renvoie en fait aux critères de représentativité et aux conditions d'éligibilité à l'Assemblée constituante. Bien que voisins, ces deux concepts - éligibilité et représentativité - se situent à deux niveaux hiérarchiques différents et renvoient à des compréhensions diverses : la représentativité fait référence au choix des méthodes et des critères à retenir dans la composition de l'Assemblée Constituante ; l'éligibilité concerne les conditions particulières que doivent remplir les candidats pour avoir le droit de se présenter aux élections. Sur la question d'éligibilité, il nous semble juste que dans une société démocratique et égalitaire, tou(t) Tunisien(ne), majeur(e), ait le droit de candidater. Toute autre considération que celle relative à la jouissance de la nationalité tunisienne -qu'elle soit ou non exclusive-doit être écartée. Pour que notre Assemblée constituante soit démocratique, égalitaire et plurielle, il est impératif qu'elle puisse représenter l'ensemble de la société tunisienne, y compris ses minorités. Si les conditions d'éligibilité à la Chambre écartent d'emblée certaines personnes du fait de leur absence supposée de compétences, leur appartenance idéologique, religieuse ou de n'importe quelle autre caractéristique, quelle chance aurait-elle d'être représentative de l'ensemble du peuple ? Quelle chance pour qu'elle puisse produire une Constitution garante des droits de tous les Tunisiens ? La question relative à la représentativité renvoie aux formes que peut prendre la démocratie. Ces dernières sont diverses. Elles disposent chacune d'atouts et de limites inséparables des contextes institutionnels, sociaux et historiques dans lesquelles elles ont pu être expérimentées. La démocratie carthaginoise, qu'Aristote citait en tant que modèle, élisait ses suffètes. La démocratie athénienne, dans la Grèce antique, procédait par tirage au sort. Les démocraties « modernes » privilégient dans leur ensemble, l'élection de représentants. Certaines organisations préfèrent fonctionner « au consensus » plutôt que de n'avoir recours qu'au vote. En novembre 2010, suite à sa révolution démocratique, l'Islande a remis au goût du jour les principes antiques et a appliqué le tirage au sort pour proposer les candidats de son Assemblée constituante. En Tunisie, à l'évidence, le peuple souhaite des élections libres et transparentes. Elles sont indispensables. Sont-elles pour autant suffisantes ? L'élection « classique » de représentants possède pour objectif de sélectionner les citoyens qui porteront les différentes orientations politiques présentes au sein de la population. Elle conduit, par son fonctionnement même, à désigner une « élite ». Avec les avantages et les inconvénients que cela représente. L'élite est en général mieux formée. Elle dispose d'une expertise et de relations qui rendent sa tâche plus facile. Elle ne représente en revanche pas toujours fidèlement celles et ceux qui l'ont élue. L'émergence (ou le maintien) d'une élite en situation d'établir les règles qui fondent, à travers la Constitution, le « vivre-ensemble » ne risque-t-elle pas d'ôter au peuple une partie de la voix à laquelle il aspire légitimement ? Au fond, vaut-il être représenté à travers les idées que l'on souhaite voir être défendues ou par une image du peuple tel qu'il est ? Comment résoudre ce dilemme ? Il faut d'abord que l'Assemblée constituante soit composée très majoritairement de représentants du peuple élus au suffrage universel (nous proposons une proportion des 2/3) car l'élection permet de choisir entre des orientations politiques. Le choix des orientations politiques et la désignation de ses représentants nous semblent d'autant plus capitales que les Tunisiens n'ont jamais eu l'opportunité de s'exprimer librement jusque là. Il faut ensuite qu'une proportion de l'Assemblée constituante (1/3, dans notre proposition) soit tirée au sort parmi les citoyens-candidats afin de représenter « le peuple tel qu'il est». Bien sûr, notre proposition ne s'oppose pas, bien au contraire, à l'établissement d'autres règles afin de garantir la plus grande représentativité possible de l'Assemblée constituante. Ces règles devront être simples et objectives : une parité des élus entre hommes et femmes et une représentation des différents gouvernorats au prorata de leur poids dans l'ensemble de la population. La première règle consacrerait le principe d'égalité entre citoyens et citoyennes dont les Tunisiens sont fiers, et permettrait à notre pays de demeurer le phare du monde arabo-musulman en la matière. La seconde permettrait la représentation de l'ensemble des habitants du territoire tunisien. Inéluctablement, pour certains, nos propositions soulèveront d'autres difficultés. Nous pouvons les résoudre et en débattre. Nos propositions pourront également sembler inhabituelles. Mais avons-nous l'habitude des révolutions ? Ne sommes-nous pas dans une phase de notre parcours où l'avenir nous appartient vraiment ? N'avons-nous pas déjà montré, dans notre histoire, que nous savons être novateurs en osant nous affranchir de nos carcans? Que vous adhériez à ces propositions ou que vous souhaitiez simplement qu'elles contribuent au débat sur le moment historique qui s'annonce, nous vous invitons donc à signer l'Appel du Front laïque pour une Constituante : http://constituante.frontlaique.org.