Coluche, le célèbre comique française, disait un jour : « la dictature c'est ferme ta gueule ; la démocratie, c'est cause toujours » ! En ce moment et depuis un certain temps déjà, la rue tunisienne confirme cette boutade à la lettre près. Dimanche dernier, devant le siège de l'UGTT, quelque 200 syndicalistes se sont rassemblés pour critiquer le bureau exécutif de l'organisation et appeler à une conception autre de l'action syndicale. Là n'est pas notre sujet. C'est que pendant la réunion, diverses personnes distribuaient qui des manifestes syndicaux ou politiques, qui des appels de mobilisation contre les ennemis de la Révolution, qui les C.V. de leurs partis respectifs. En tout cas, il y avait du « papier » dans l'air et par terre également, hélas. C'est fou ce que les manifestations organisées depuis janvier dernier jusqu'à ce jour ont utilisé comme quantité de papier. Les photocopieurs ont sans doute fonctionné à plein régime après la chute de Ben Ali et il leur reste beaucoup de travail à accomplir d'ici le 24 juillet. Démocratie de voyous Ça parle beaucoup autour de nous, ça crie et ça écrit, ça court et ça discourt ; les uns vous félicitent, les autres vous débilitent ; certains vous envoûtent, d'autres vous dégoûtent ; ceux-ci vous mobilisent, ceux-là vous diabolisent ; un tel vous promet le paradis, tel autre vous en congédie. Bref, c'est un peu désormais comme aux ventes à la criée ! Si au moins les joutes « démocratiques » se déroulaient sans casse, on se serait accommodée, même forcés, du boucan qu'elles occasionnent. Mais le malheur, c'est que la violence n'entache pas que les slogans de nos manifestants. Ces derniers joignent l'acte à la parole et ne rentrent chez eux (ou dans leur QG) qu'après avoir brisé des vitres, défoncé des portes, renversé des véhicules, brûlé des commerces, agressé voire même tué des gens. A Jendouba, jusque-là cité « pacifique », la mode des batailles rangées entre bandes rivales a séduit les vandales de la région qui ont failli tout détruire autour d'eux. La démocratie, c'est paraît-il une aubaine pour les bandits et les repris de justice qui voient en chaque espace une aire libre pour leurs velléités inciviques. Si pour d'autres, « démocratie » signifie « liberté d'expression », chez eux l'expression libre est celle des bras musclés, des visages balafrés, du vocabulaire obscène et du geste incontrôlé. Il faut dire cependant, que l'armée des « voyous » est souvent mise au service des gens soi-disant « civilisés » : les évadés de prison, les hooligans des stades, les trafiquants brevetés, les casseurs nés, toute cette horde peut être utile lorsque l'intention des « gens de bien » est de pêcher en eaux troubles, de saboter une manifestation pacifique, de terroriser des citoyens paisibles confiants en la pureté des idéaux révolutionnaires, de répandre le sentiment d'insécurité à travers le pays depuis son extrême-nord à son extrême-sud. Le réseau contrerévolutionnaire et son Cerveau Nous pensons qu'un réseau savamment organisé est en train de manipuler à dessein la passion des foules. Ce n'est pas par hasard que toutes les semaines depuis janvier dernier, des heurts très violents sont enregistrés à tous les coins de la Tunisie. Le « cerveau » du réseau et ses agents ont la carte du pays constamment sous les yeux et pour faire diversion, ils provoquent les violences chaque fois dans un gouvernorat différent et de préférence très éloigné de l'autre. De sorte qu'on parvienne difficilement à établir le lien entre les violences commises ici et là. La pègre de Ben Ali et consorts agit toujours et, comme dans les films sur la mafia italienne, elle doit recevoir du soutien de la part de personnalités locales ou étrangères apparemment « au-dessus de tout soupçon ». Leur démocratie à eux, c'est de ne priver aucune ville du pays de braquages, d'attaques à l'arme blanche, de détournements ni de rapts, de vols ni de meurtres, d'évasions de prisonniers, de mise à sac de magasins, d'incendies dans les locaux de police et dans les administrations, de grèves lycéennes sauvages, de sit-in suspects, de manifestations brouillonnes, de constructions anarchiques, d'occupations illégales de logements et de terrains étatiques ou de propriétés particulières et aussi de dévastations barbares des terrains de sport. Vraisemblablement, ils sont bien connectés les uns aux autres et ils ont de quoi financer leurs « menées » contrerévolutionnaires. Ils ont leur Ben Laden, c'est sûr et certain ; mais ce Ben Laden-là, les Américains ne le voient pas, ne le recherchent pas, ne tiennent pas à avoir sa peau. Les Français non plus ne proposent pas leurs services et leurs compétences pour venir en aide à la Démocratie en Tunisie. L'Occident dans sa majorité n'entre en guerre, ne se montre enthousiaste et généreux que lorsqu'il s'agit d'installer « sa » démocratie. Entendez celle qui profite à ses multinationales, celles dont il peut tirer quelque chose pour sa prospérité ou pour le sortir d'une crise. Qu'importe si cette démocratie importée met en place un nouveau despote ; l'essentiel entre nations civilisées et démocratiques n'est-ce pas de se partager tous les butins ! Toi, tu auras ta part en Irak, toi tu iras la chercher en Libye, en Afghanistan, en Côte- d'Ivoire, au Darfour etc. Il nous reste les vœux pieux ! Et pendant ce partage du festin, les « criées » démocratiques se poursuivent sur l'Avenue Habib Bourguiba et plus particulièrement devant le Théâtre municipal. Il est vrai que d'une certaine manière, l'après-Révolution ressemble chez nous tantôt à une comédie tantôt à une tragédie. Des pièces sont chaque jour montées et jouées sur cette même scène mais avec des acteurs toujours différents. Chacun fait comme il peut la promotion de son spectacle, de son « show » comme dirait notre ami américain ! Et là aussi ça parle trop, ça se dispute souvent et ça ne convainc pas toujours ! La démocratie est manifestement volubile par définition ; avant les élections, le bon démocrate est celui qui parle le plus, qui distribue le plus de tracts, qui organise le plus de meetings. Allez savoir si une fois élu, c'est lui qui libèrera le plus la parole et la plume, si c'est lui qui respectera l'opinion opposée et les droits de l'Homme, qui répartira équitablement les richesses du pays, qui préservera l'indépendance et la souveraineté de la Tunisie, qui cèdera sa place lorsque son mandat est épuisé, qui organisera des élections libres, démocratiques et transparentes et qui honorera le principe de la dignité humaine pour lequel la Révolution fut déclenchée. Prions Dieu pour que le rendez-vous de Juillet n'amène pas au pouvoir des projets de dictateurs nationalistes, islamistes, marxistes ou poujadistes ! Dommage que les élections de la Constituante n'aient pas lieu un 27 de Ramadan. A la nuit du Destin, nous a-t-on toujours dit, tous les vœux sont exaucés ! Continuons à rêver, malgré tout !