Avec pas moins de six films, le cinéma tunisien était fortement représenté cette année à Bejaia. Aleeddine Slim avec «Le stade», Leila Bouzid avec «Un ange passe», Chiraz Fradi avec «Album», Walid Ettayaa avec «Vivre» Mehdi Hmili avec «Li-La» et Jileni Saadi avec son premier long-métrage documentaire «Bouchra» ont confirmé la vitalité et la diversité du jeune cinéma indépendant tunisien. Cinématographiquement, «Le stade» deuxième court-métrage de Aleeddine Slim constitue la pépite de la sélection tunisienne. Film mutique, contemplatif et mélancolique, assumant de bout en bout sa radicalité, « Le stade » suit les pérégrinations d'un homme défait et d'un chien errant dans la longue nuit d'un Tunis Groggy. C'était en 2010. A sa manière, plus naturaliste et caustique, Walid Ettayaa dans « Vivre » fait le même constat d'une Tunisie à genoux, à travers l'histoire de Hayet quadragénaire qui étouffe de solitude et d'ennui. « Li-La » premier court-métrage professionnel de Mehdi Hmili est intéressant de par ce qu'il tente formellement : La déconstruction et un style très Nouvelle vague. Un peu trop sous influence et par moments brouillon, « Li-La » a le mérite de s'aventurer dans des territoires très peu explorés par nos cinéastes ; Celui de la forme filmique. Cette variété stylistique est on ne peut plus salutaire pour un cinéma tunisien enferré depuis des années dans la prison du vérisme. Appréhendés rétrospectivement, ces films traduisent d'une manière on ne peut plus juste le délitement d'un pays, aux antipodes du cinéma de papa, totalement désincarné et nombriliste. Voir ces films aujourd'hui, ne serait-ce que quelques mois après la Révolution, c'est prendre toute la mesure de l'anomie, cancer de la Tunisie de Ben Ali.
Les prémisses du renouveau du cinéma algérien
En dépit de la sclérose institutionnelle, le cinéma algérien connaît depuis déjà quelques années un dynamisme surtout dans le long-métrage avec les Ben Smail, Téguia, Zaimeche, Lyes Salem, Lakhdhar Tati et Fatma Zohra Zaamoum. Que certains de ces cinéastes travaillent entre Paris et Alger, cela ne remet pas en question leur appartenance au pays qui les a vus naître. N'en déplaise à une certaine critique chauvine et mal intentionnée, l'acculturation n'est pasliée au lieu de résidence mais de la nature du regard que l'on porte sur sa culture. Que l'on soit ici ou ailleurs, la distance importe beaucoup moins que la sincérité de la démarche cinématographique, que la « vérité » des images. La dynamique enclenchée par certains longs-métrages est en train de contaminer le court-métrage. L'année 2010 probablement une des années les plus fastes pour les formes courtes et les documentaires algériens. Sur le plan thématique, la décennie noire continue à hanter les imaginaires des jeunes cinéastes algériens, au point parfois de les écraser. Des années de violence et la démission des aînés, ont presque naturellement fait des jeunes talents les seuls dépositaires de la mémoire de ces années de braise qui a vu leur enfance ou leur adolescence confisquée. Le cinéma en tant que thérapie, c'est ce qu'entreprend Abdennour Zahzeh dans son road movie « Garagouz » minimaliste, sobre et juste. Yannis Koucim dans « Khouia » film pamphlet contre la violence masculine fait preuve d'une énergie dans la mise en scène quelque peu parasitée par une mécanique scénaristique trop bien huilée. « El joou » (La faim) de Djamel Belloucif porte un regard décalé et mordant sur l'émigration clandestine en suivant deux personnages perdus au milieu de nulle part en Europe, après être tombés du camion qui les transportait. Un film fauché, mais un vrai regard de cinéaste. Du côté du documentaire, «Dans le silence je sens rouler la pierre » de Lakhdhar Tati confirme toutes les qualités entrevues dans son premier documentaire « Joue à l'ombre ». Croisant cinéma et poésie « Dans le silence… » se veut une investigation historique sur un camp de républicains espagnols en Algérie, dont le point de départ est un poème de Max Haub qui mènera le réalisateur sur les traces d'une Histoire perdue à jamais et au constat de l'impossibilité de sa propre quête dans un pays qui a préféré l'oubli à la mémoire. « Afric Hotel » est probablement une des plus belles surprises de ces neuvièmes rencontres de Bejaia. Réalisé avec trois fois rien par Nabil Djedouani et Hassan Farhani, ce documentaire suit le quotidien d'émigrés africains en transit à Alger. Travailleurs, enjoués et pour certains d'entre eux plutôt intégrés ne serait-ce qu'à travers les quelques mots d'algérien qu'ils arrivent à baragouiner, ces hommes dont beaucoup d'algériens ne soupçonnent même pas l'existence, luttent dans le silence pour leur survie. Tendre, tragique, hilarant par moment «Afric hôtel» dégage une énergie et une justesse qui dénotent d'une grande maturité cinématographique. Une belle édition, dans l'attente de la dixième qu'on nous promet grandiose et dans une vrai salle de cinéma, la cinémathèque de Bejaia, une des plus belles salles de la Méditerranée.