L'Institut National de Consommation vient d'envoyer un SMS aux citoyens les informant que « chaque tunisien consomme 36 kilos de sucre par an, alors que la moyenne mondiale n'est que de 23 kilos». Cet organisme officiel demande donc aux citoyens de réduire leur consommation pour le bien de l'économie et de leur santé. Petit détail croustillant : on ne risque pas de battre ce record cette année, puisqu'il n'y a plus de sucre sur le marché ! Les épiciers le cachent au fond de leur boutique, pour le servir plus cher à des clients discrets, mais qui en ont besoin, comme les pâtissiers. La rareté de ce produit est telle qu'une émeute s'est déclarée récemment dans une grande surface où on avait entreposé une grande quantité de sucre en vrac dans une caisse, où les clients pouvaient se servir tous seuls, avant d'aller peser leur précieuse marchandise. A ce rythme, il faudra se passer des fameux gâteaux de l'Aïd faits maison. Cette frénésie causée par la pénurie touche bien des domaines : il y a des attroupements devant chaque boutique ou supermarché qui se fait livrer des bouteilles d'eau. Une vidéo tunisienne a circulé ces derniers jours sur Facebook montrant une foule débridée se bagarrant, au vrai sens du mot, pour arracher quelques packs d'eau minérale au rayon spécialisé, où elles venaient d'être entreposées par un chariot élévateur. On a également constaté de visu plusieurs bousculades, voire une véritable razzia devant des épiciers qui venaient de recevoir quelques packs de lait, servis comme un produit de contrebande par un camion frigorifié. On a remarqué de longues files dès qu'il y a quelques kilos de sucre en vue dans les magasins. Bref, une ambiance de fin du monde qui cadre bien peu avec les principes de base de ce mois Saint. Un citoyen excédé par tant de rapacité, par tant de frénésie, témoigne : « mon voisin de palier possède une boutique où il vend toutes sortes de produits de consommation, une sorte de Hammas de luxe. Récemment je l'ai surpris en train de monter des bouteilles d'eau par centaines chez lui, pour les cacher. Par la suite j'ai appris qu'il les revendait à 700 Millimes pièce, soit plus du double du prix d'achat. Le pire c'est qu'il fait semblant d'être pieux et qu'il fait la prière. C'est ça les vrais criminels ! » La contestation la plus inattendue est venue d'un maçon, qui s'est retrouvé au chômage à cause dit-il de « l'augmentation excessive du prix du ciment. Le sac de 50 kilos atteint actuellement 16 Dinars, alors qu'il était à 5 ou 6 au mois de mars dernier. Dix Dinars d'augmentation c'est la ruine pour tous ceux qui construisent leur maison et pour les travailleurs des chantiers qui se retrouve au chômage, alors qu'ils n'ont rien fait». Reste que tout cela n'arriverait pas s'il n'y avait cette frénésie, cette obsession d'amasser les biens qui sont à la base de la société de consommation. Une grand mère tire la conclusion de cet état de choses : « jadis, on faisait la Ôula, on avait des réserves alimentaires pour toute l'année et on n'achetait que les produits frais. Les familles d'aujourd'hui sont incapables de rester un jour sans aller au supermarché. Comment voulez-vous alors qu'ils construisent une maison ou qu'ils montent des projets ? Tout leur argent s'en va dans la bouffe». On devrait écouter les paroles des grands-mères un peu plus souvent, elles ont cette sagesse et ce sens pratique qui manque tant à notre époque, aux jeunes générations ! Et en plus c'est gratuit.