C'est une grosse erreur que de penser que, depuis la Révolution, nous avons trop de partis politiques en Tunisie. 111 formations, c'est en fait une goutte dans l'océan. Nous devrions en avoir par millions tant chaque Tunisien représente à lui seul un parti. Du temps où les libertés politiques n'étaient reconnues à personne dans notre pays, les gens se rabattaient sur le sport pour libérer l'expression critique réprimée. C'est alors qu'on découvrit que notre chère Tunisie abritait des millions d'entraîneurs et d'analystes sportifs : chacun y allait de ses commentaires et de ses tactiques et stratégies. Tout le monde se disait connaisseur en gestion des équipes, en politique sportive, en direction technique, en règlements fédéraux, en arbitrage, en organisation des stages etc. Aujourd'hui, la campagne pour les élections de la Constituante nous révèle chaque jour un plus grand nombre de Tunisiens qui prétendent tout comprendre en politique. Dans les lieux publics comme chez eux et sur leurs lieux de travail, ils vous analysent la situation dans le pays, dans la région et dans le monde et vous font part de leurs suggestions pour « sortir d'affaire » en Tunisie, en Libye, en Syrie, en Irak, en Iran, en Palestine, en Grèce et jusqu'aux Etats-Unis. Ils ont presque tous des griefs contre les programmes des candidats aux élections et se verraient bien à la tête d'une liste concurrente. Nombreux même sont ceux qui se trouvent tout à fait ministrables et pourquoi pas présidentiables. Un pays dirigé par 11 millions de ministres et 11 millions de présidents, n'est-ce pas cela la démocratie ! La robe noire, la blouse blanche ou l'uniforme militaire ! A propos des listes électorales et des candidats qui les composent, nous avons constaté que la plupart des professions y sont représentées, à des taux divers bien entendu. Les journalistes, par exemple, y sont peu nombreux. En revanche, les avocats et les enseignants (tous cycles confondus) sont partout. Notre pays a déjà été gouverné par des avocats et il ne garde pas toujours les meilleurs souvenirs du règne de ces derniers. Alors, on essaye encore ? Au risque d'essuyer les mêmes déboires qu'avec les précédents ?! D'aucuns diraient que cela vaut mieux que d'avoir un général de l'armée comme chef d'Etat. Certes, mais nous craignons toujours depuis une certaine expérience que les avocats qui nous dirigent ne cachent sous leur robe noire cet uniforme militaire que tous les dirigeants arabes mettent chaque fois que leur règne est contesté ! Quant aux enseignants, ils ont appris depuis l'ère Bourguiba à transiger avec les valeurs nobles qu'ils professent à leurs disciples. Leur apprentissage de certaines pratiques s'est encore perfectionné sous Ben Ali. Les moins vendus d'entre eux restent cependant trop idéalistes et trop rêveurs pour gouverner le pays en ce début du XXIème siècle. Beaucoup d'enseignants ne suivent pas leur temps, sont comme hermétiques à ce qui sort de leur spécialité et croient qu'avec leur petit savoir de cuistres, ils peuvent mener à bon port une Tunisie au bord de la dérive. De plus, ils aiment beaucoup discourir au lieu que la bonne gouvernance se traduit surtout par des actes. A qui remettre le destin de notre cher pays ? Dans les autres métiers, non plus, ce ne sont pas les requins affamés qui manquent ! Concours de beauté Le scrutin du 23 de ce mois, c'est finalement un concours pour élire les moins dangereux pour l'avenir des Tunisiens ; c'est d'une certaine façon un concours de beauté morale et politique. Pour ce qui est de la beauté physique, force est tout de même de reconnaître que les candidats aux élections de la Constituante sont pour la plupart très peu photogéniques, encore moins télégéniques. Nous ne tiendrons bien évidemment pas compte des horribles mutilations que subissent leurs photos sur les affichettes murales de la campagne électorale. Les candidats ne sont pas sans savoir que leurs électeurs sont sensibles également au charme physique, à la prestance, à la carrure. Peu de concurrents et de concurrentes s'illustrent à ce niveau durant l'actuelle campagne. On en voit même qui optent délibérément pour une tenue et un look très négligés dans l'espoir de faire bonne impression auprès des « masses populaires ». Dans d'autres listes, dans la plupart en fait, on glisse quasi systématiquement une candidate voilée, peu séduisante et à l'air d'une sainte-nitouche, pour garantir une bonne presse auprès de la majorité croyante des Tunisiens. Les candidates affriolantes on n'en voit pas du tout. Nos partis politiques ont également peur du décolleté : les femmes qu'ils lancent dans la campagne s'habillent toutes très, voire trop décemment. Elles ne se maquillent que légèrement. On n'en voit pas qui portent des bijoux ou qui les montrent ostensiblement. Au fond, il y a comme une peur dissimulée d'avoir à faire de nouveau à une « régente » belle et élégante capable d'utiliser son sex-appeal à des fins très peu patriotiques. Figaros inquiets Restons dans la beauté, pour rapporter cette drôle d'angoisse de plus en plus répandue chez ceux et celles qui tiennent des salons de coiffure. L'autre jour, un coiffeur de quartier nous fit part de sa crainte de se voir bientôt condamné à fermer boutique : « si des islamistes prenaient le pouvoir en Tunisie, supposa-t-il, ils encourageraient les cheveux longs et le port de la barbe quand ils n'appelleraient pas les hommes à porter des turbans à l'afghane. Les femmes, non plus, n'auraient plus besoin d'aller dans les salons de coiffure pour dames : elles se maquilleraient pour qui, si le port du voile intégral leur devenait obligatoire ? Pourquoi changeraient-elles de couleur de cheveux si personne ne s'en rendait compte ? » Il paraît, d'après notre interlocuteur, qu'en Afghanistan, les coiffeurs se sont félicités de l'arrivée chez eux des Américains et de leurs alliés: ils ont depuis repris l'usage des tondeuses, des ciseaux et des rasoirs pour coiffer les visiteurs étrangers et de plus en plus d'indigènes. La coiffure, un métier en péril ? Peut-être pas le seul en cas de régime islamiste sous nos cieux ! Après un long règne de « coiffeuse » en Tunisie, devrons-nous renoncer à tant d'esthéticiennes répandues sur notre sol ? Et ces instituts de beauté qui les forment, qu'allons-nous en faire le jour où la beauté sera perçue comme un péché ? Inutile de trop cogiter là-dessus : ce jour- là, nos dirigeants intégristes sauront nous faire, de gré ou de force, aimer la laideur !