Par Khaled GUEZMIR - Finalement, la Tunisie est-elle aussi ingouvernable que cela ! Ces politico-sceptiques le disent et le pensent, mais le peuple, beaucoup moins ! Revenons un peu en arrière du temps de la dynastie husseïnite, et nous pouvons constater que ce système institué le 15 juillet 1705, a pu gouverner ce pays pendant plus de deux siècles et demi avec une relative aisance. A l'exception de la grande insurrection de Ali Ben Ghdhahoum de 1864 ou de la révolte des Fréchiches de 1906, cette période a été caractérisée par une relative stabilité. Le système d'administration régionale, basé sur la nomenclature tribale fonctionnait relativement bien de par une « décentralisation » de fait et une grande liberté d'auto-gestion. Le pouvoir central bien ancré dans les grandes villes et surtout la capitale assurait la jouissance paisible des citoyens individus et groupes malgré un impôt de capitation et une certaine fermeté caïdale. Les historiens parlent d'un pays « sous-administré » avec un déficit au niveau des structures centrales et régionales mais le peuple n'avait pas l'air de s'en plaindre. Mieux encore seules les campagnes de collecte des impôts par tant de disette et de sécheresse étaient à l'origine des désordres sociaux. Le système beylical a donc, pu tenir et résister au protectorat français établi en 1881, en empêchant l'annexion pure et simple de la Tunisie comme ce fut le cas pour l'Algérie. La monarchie tunisienne avait pour support essentiel une hiérarchisation douce au niveau social et n'avait pas cet « appétit » maladif de tout s'approprier. D'ailleurs, « au coup » d'Etat du 25 juillet 1957, car il s'agit bien d'un coup d'Etat et la façon de déposer le Bey « Lamine » n'avait rien de « courtois » ni de « civilisé », puisque la famille beylicale a été spoliée de ses biens personnels et a vécu dans la gêne la plus extrême, le pays n'a pas bougé et aucune manifestation violente n'a été constatée. Le régime de Bourguiba « monarque présidentiel » a lui aussi duré plus de trente trois ans depuis l'autonomie interne, en 1954, jusqu'à 1987, et a été caractérisé par une relative stabilité malgré la crise majeure youssefiste et les conflits sociaux violents de 1978 et 1984. Ces deux systèmes en apparence antagonistes avaient de commun une certaine perception de l'intérêt général, un attachement à la symbolique de l'Etat, un certain autoritarisme, mais aussi et surtout une certaine intégrité morale, ce que les anciens grecs appelaient la « vertu ». Il y a eu certes des dérives importantes et dramatiques avec les « gendres » du Bey, Mustapha Ben Ismaïl et Mustapha Khaznadar, au 19ème siècle, comme il y a eu aussi quelques illégalités du temps de Bourguiba, pourtant bien sévère et intraitable quand il s'agit de corruption, mais jamais « l'appropriation » de l'Etat et le contrôle des pouvoirs n'a coïncidé avec l'appropriation de l'économie, des finances et de toutes les sources d'enrichissement comme ça été le cas du temps de Ben Ali. Le rapport « écrit » et vous savez bien que « l'écrit reste » de la commission d'investigation du Doyen Abdelfattah Amor a présenté au peuple tunisien, à ses élites, à toutes ses composantes ainsi qu'à sa mémoire, une tragédie unique dans l'histoire ancienne et contemporaine de notre pays, celle où un « Chef d'Etat » ou supposé comme tel, despote et corrompu, arrive à s'approprier l'Etat et ses moyens économiques et financiers à des fins d'enrichissement personnel ! C'est un cas pratiquement isolé qui fera date et qui sera sanctionné par des thèses universitaires pour les décennies à venir ! Et dire, comme l'a soupiré le rapporteur de la commission, le Doyen Néji Baccouche : « La Tunisie et son bon peuple, brave et facilement gouvernable, ne méritaient pas cela » !