Au-delà de ces bouffées de bonheur que l'on respire à plein poumon ces jours de constitutionnelle, ce qu'il faut retenir pour l'essentiel c'est que la politique est enfin réhabilitée dans ce pays. Certains craignent même une overdose mais après des décades de sécheresse quelques dépassements et un peu de fébrilité ne risquent pas de gâcher la fête. Voir le tout « jeune » « aîné » président pour quelques heures des élus de l'Assemblée, monopoliser le micro pour marquer la marche de sa vie et de ses rêves par cette « immortalité » si rare, qui sait une opportunité dans le siècle, quoi de plus légitime ! Tout le monde lui a pardonné cette faiblesse et au fond s'il a chipé la vedette à ceux qui attendent depuis longtemps leurs heures de gloire, il a eu le mérite de répandre sur nos écrans attentifs de la bonne humeur et un peu d'amateurisme pour ramener finalement tout le monde à la terre et à une certaine relativité et une modestie plus que nécessaire. Maintenant que nous sommes rétablis dans nos droits politiques par cette auguste Assemblée qui va dire la loi, notre espoir, c'est que plus jamais nous ne reviendrons à cette tragédie qui a collé à la peau des Tunisiens depuis des siècles comme une malédiction et qui consiste à n'accéder à la promotion politique et au gouvernement des hommes que par la prison, la privation, l'humiliation et la peur ! ça été le cas des leaders pour l'indépendance nationale qui ont connu toutes les prisons de Tunisie, d'Algérie et de France avant d'accéder aux hautes charges politiques. Mais à peine la page du Protectorat colonial tournée, le nouveau régime à partir de 1956, au nom d'objectifs nobles comme celui du développement des infrastructures, des régions, de l'éducation des ressources hydriques et surtout de l'unité nationale et de la stabilité, n'a pas fait dans la dentelle et la répression parfois sévère était bien présente dans la vie de notre peuple et a accompagné l'édification de l'Etat national moderne. L'occulter serait une erreur historique, le justifier, nous ramènerait à Machiavel où « la fin justifie les moyens » et où les peuples se gouvernent par « la main de fer dans un gant de velours » ! Pire encore avec la dictature mafieuse du 7 novembre 1987, la politique a été totalement confisquée comme l'Etat lui-même, l'économie et tous les attributs de la souveraineté tunisienne. Là, les chiffres sont hallucinants mais ils doivent être maniés avec précaution, les statisticiens n'ayant pas accès aux documents justificatifs. Certains parlent de 3000 prisonniers politiques d'autres multiplient ce chiffre par dix et même plus et les plus durement touchés par la déferlante répressive de Ben Ali, ont été les islamistes et les cadres d'Ennahdha. Maintenant qu'ils ont pratiquement la haute main sur l'appareil de l'Etat à travers le Premier ministère qui représente la 2ème grande « muette » qu'est l'administration, et l'Assemblée constituante avec une majorité absolue du fait de leurs alliances, va-t-on survivre et subir encore une fois cette fatalité de l'appropriation progressive des pouvoirs par les vainqueurs, et ses outils répressifs traditionnels et instinctifs ou va-t-on rompre définitivement avec ce cycle de misère médiévale et honorer notre peuple et ses élites de la liberté pour toujours. Rappelez-vous encore Aristote : « Les citoyens sont les hommes que la nature a honoré de la liberté ». Les indicateurs jusque-là sont au vert et heureusement ! Les déclarations sont rassurantes, il y a de l'humilité chez les cadres d'Ennahdha spécialement les hautes instances dirigeantes. Qu'est-ce qui différencie un Samir Dilou, d'un homme politique norvégien ou scandinave… pratiquement rien, le flegme de la raison, la retenue et beaucoup de nuances apaisantes qui donnent le préjugé favorable. Le Cheikh Rached et Si Hamadi Jebali ne présentent rien de menaçant pour le style de vie des tunisiennes et des tunisiens et ils savent bien que notre islamité est apparentée à une culture de la tolérance de la joie de vivre et du juste milieu. Donc, continuer à diaboliser Ennahdha peut paraître injuste et ne fait que la servir au niveau des prochaines joutes électorales finalement si proches. Mais, faut-il, par ailleurs, courir le risque de la confiance absolue et donner des « chèques en blanc » aux futurs gouvernements ! Là, il faut revenir à Montesquieu : « Seul le pouvoir arrête le pouvoir ». L'humaine nature est fragile et « corruptible » il faut par conséquent l'aider et s'il le faut l'obliger par la loi et les garde-fous à préserver les droits des citoyens à la liberté et à la différence. Une majorité absolue peut servir la stabilité en temps de crise mais elle peut aussi devenir tyrannique. L'opposition actuelle est-elle suffisante en nombre et en qualité pour le faire et jouer le gardien du portail politique et démocratique ? Je ne le pense pas. Il va falloir remodeler tout cela, rassembler les courants de la gauche démocratique et libérale dans un courant autrement plus volumineux et plus consistant surtout au niveau de la mobilisation et du terrain. En politique rien n'est donné tout se mérite. Ceux qui veulent à nouveau le commandement politique doivent bâtir une nouvelle force ascendante ambitieuse et populaire autour d'un ou plusieurs leaders charismatiques, honnêtes et en rupture avec l'ancien régime, faute de quoi, le courant moderniste disparaîtra par absorption lente mais irréversible ! Nous y reviendrons !