Célèbre pour son humour grinçant, Lotfi Abdelli s'est notamment illustré avec son spectacle « Made in Tunisia ». Ses traits d'humour révèlent généralement un personnage bon vivant. Dans sa nouvelle version de made in Tunisia, « 100% Hellal », présentée à guichets fermés au centre culturel Néapolis, Lotfi n'hésite pas à s'attaquer aux sujets les plus sensibles avec une verve féroce mais toujours avec un humour qui fait rire le public comme il nous l'explique dans cet entretien. Le Temps : votre pièce marque-t-elle votre engagement politique ? Lotfi Abdelli : c'est avant tout un spectacle qui vise le rire. Comme je l'ai dit, je ne cherche pas à dénoncer, à tenir un discours. Ça ne m'intéresse pas. J'écris du théâtre, c'est bien assez. Je ne suis pas anti-Nahdha. Il n'y a aucun symbole religieux dans le spectacle ; les symboles, je les laisse aux croyants mais je m'oppose toujours au discours du gouvernement. Même si la Troïka va faire de belles choses, je ne fais que refléter l'opinion de la rue, les histoires de mon quartier, des cafés, de mes copains. Les gens attendent aujourd'hui beaucoup de changements. . Personnellement, je n'ai pas vu d'enthousiasme émanant du peuple depuis le 23 octobre. Qu'est ce que vous critiquez en fait dans votre one man show ? -Je critique le Tunisien, moi, toi, les autres. J'explique comme on a pu rapidement s'adapter à ce nouveau régime pour ne pas dire tourner la veste. Le tunisien est un caméléon. Mon travail c'est plus poser des questions que de donner des réponses. Je suis dans l'incertitude avec tout ce qui se passe aujourd'hui. Chaque sketch est une interrogation sur ce que nous faisons. Pensez-vous que la société tunisienne est assez conservatrice, au fond ? -Je ne le pense pas. La preuve, je joue à chaque fois à guichets fermés. Les gens viennent à chaque fois me voir pour vivre des moments de partage avec mon show. Votre public, me semble-t-il, paraissait un peu select ! -Non, je ne partage pas cette idée. 20% de mon public sont des femmes voilées. Elles ont été impressionnées par le spectacle. Avec la nouvelle version de made in Tunisia, ce nombre dépasse parfois les 30%, ce qui est extraordinaire car il me donne l'impression que ce sont des femmes très ouvertes et je respecte leur choix religieux. Parfois on a remarqué des attitudes assez hostiles du public envers vous dans votre show, pourquoi ? -Un refus, c'est vrai mais il est toujours accompagné d'un rire. La pilule est trop dure mais elle est passée. Vous défendez toujours les marginaux dans vos sketchs, est-ce vrai ? -J'ai toujours défendu les artistes, les marginaux, les pauvres. Je porte leurs douleurs. Ils sont si super sympa, intelligents comme les autres, ils ont du vécu et des idées sur tout ce qui se passe dans notre société. Vous êtes audacieux dans votre one man show et parfois sans retenue dans vos sketchs ! -Je ne pense pas que j'ai des limites. Je parle souvent des tabous et les gens viennent voir. Je suis Tunisien et fier de l'être. Je reflète l'image de ma société. Celle-ci est pleine de ces contradictions si bien qu'un psychiatre risque de se perdre dans son diagnostic. Je parle toujours avec amour avec le tunisien, sans mépris. Je revendique tout cela. C'est pour quoi le public adhère à mes idées. A la fin du spectacle, j'ouvre le débat et ils se rendent compte enfin que tout cela reflète les quatre vérités de la société tunisienne. Vous êtes cible de critiques dans le réseau social. Qu'en pensez-vous ? -C'est bien lorsque les gens parlent de toi. C'est que j'existe. C'est vrai qu'il y a une minorité qui n'aime pas ton discours. Le jour où les gens vont m'aimer, j'arrêterai ce métier. Quels sont vos projets ? -Je suis pris ces jours-ci par la nouvelle version de « made in Tunisia » et le tournage du film de Nouri Bouzid ,« Mille feuilles », et aussi parce que je commence à jouer en France dans des cafés théâtres aux côtés des comédiens français. J'essaie m'adapter au public de ce pays car l'humour diffère d'un public à un autre. J'essaie aussi de parler à une autre société tout en restant tunisien et d'exporter ma révolution. Je suis le seul humoriste tunisien en France et j'ai mon mot à dire aux côtés des comédiens algériens et marocains et là j'essaie de succéder à Elie Kakou, l'un des humoristes tunisiens les plus talentueux de sa génération, une personnalité étonnante qui, au cinéma, à la télévision comme sur scène avait su s'imposer auprès des publics les plus larges et les plus diversifiés. Passé maître dans l'art si difficile de faire rire, il savait aussi, comme tous les grands comiques, faire naître d'un rien les plus belles émotions. Propos recueillis par : Kamel Bouaouina