Les farouches défenseurs de la laïcité en cette Europe de Voltaire s'accordent tous ou presque, quand ils ont un savoir complet de l'histoire tumultueuse du Vieux Continent, à accuser le Concile de Trente (une ville de l'Italie) tenu en 1311, de tous les maux, et surtout de celui qui a englouti l'Europe dans la nuit de l'Inquisition. Elle y demeurera d'ailleurs jusqu'aux temps dits modernes, c'est-à-dire jusqu'à ce Grand Siècle de Louis XIV quand le règne des faux-dévots et des prélats-Tartuffe, tout-puissants allait être ébranlé par l'éclat de rire de ce "sacré" Molière. Nous n'avons certes pas la même histoire, ni le même corps à corps à travers dynasties et bouleversements entre le religieux et le politique. Bien au contraire, depuis la mort du Prophète et à travers tous les règnes, les deux sphères se sont nettement scindées. Et l'on a vu même des califes et des gouverneurs de province, très tôt, ignorer superbement les doctes de la religion s'ils ne les soumettaient pas à la sanction ou à la torture : le Grand Abû Hanifa était flagellé pendant la célébration du vendredi par le gouverneur de Bassora, Khaled al-Kossari, l'imam Ibn Hambal, lui aussi chef de l'une des quatre écoles islamiques sunnites de jurisprudence, tourmenté par le calife Al-Mu'taçim et l'imam Ibn Taymyya jeté en prison pour trouble à l'ordre public. L'histoire des Arabes et de l'islam n'a pas besoin de cette laïcité stricto sensu, obtenu par le citoyen européen à l'issue d'une longue lutte contre un pouvoir du Ciel qui tenait à gouverner de là haut les affaires de la terre. Le Prince des Croyants, Amir al-Mu'minîne, gouvernait « en vertu » de tous les cynismes et tous les réalismes bien terrestres et pouvait même se méfier de celui-là qui lui recommandait « la crainte de Dieu ». Mais revenons au concile de Trente : les historiens retiennent surtout la terrifiante formule issue de ses travaux. « Hors de l'Eglise point de salut » ! Et aux inquisiteurs et leur fidèle police de détecter le moindre comportement déviant, la moindre manifestation d'un bonheur naïf et innocent, pour exclure et mettre à mort. Une telle formule devenue mot d'ordre assassin pendant des siècles a tant fait de brûler des vieilles amoureuses de leur chat noir comme d'immenses penseurs tel que le grand Giordano Bruno, livré au bûcher en 1600. On comprend dès lors pourquoi en ce nord de la Méditerranée les crispations sont si fortes quand les sphères du religieux et du politique menacent de se télescoper. La vraie bonne foi serait de créer cette subtile gravitation qui donnerait aux deux sphères de garder leur autonomie chacune dans son propre orbite étant connu à travers la longue histoire de leur coexistence ou de leur commerce que l'une est toujours tentée de soumettre l'autre à sa loi ou à ses caprices. Dans nos sociétés, et la question se pose aujourd'hui pour notre pays, il suffit de travailler cette idée salutaire que l'Islam est congénitalement laïc - si on tient à user de ce mot bien particulier au lexique européen et plus précisément français- pour en imprégner un public exposé à toutes les démagogies en la matière. Il suffit d'y mettre les moyens et le temps nécessaires en rendant le mieux partagé ce commandement si riche d'une parole de Dieu souvent comprise et interprétée à tord et à travers, celui qui fait renoncer Dieu à faire des humains une seule communauté et dénier à quiconque, serait-il Son Prophète, de dominer la conduite et la pensée des autres : « Si Dieu le voulait tous ceux qui sont sur la terre seraient croyants (…) nulle âme ne peut accéder à la foi sans le vouloir de Dieu… ». C'est ainsi donc que nous parle ce Dieu dont des inquisiteurs des temps présents tiennent à se faire les porte-parole.