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Discours politique moderne, drapé d'une «chape» religieuse
Reflets - Symbolique présidentielle et droits de l'Homme
Publié dans Le Temps le 25 - 12 - 2011

Par Zine Elabidine HAMDA - «L'image du domestique, qui doit une conformité affichée aux normes dominantes de la bienséance verbale et de la tenue vestimentaire, hante toutes les relations entre dominés et dominants. » Pierre Bourdieu
J'ai longtemps hésité avant de m'exprimer sur le discours d'investiture du nouveau Président de la république, M. Moncef Marzouki, prononcé devant les représentants du peuple à l'Assemblée Constituante. L'hésitation ne tient pas à un calcul politique puisque je n'appartiens à aucun parti, mais elle a à voir avec l'idée qu'il ne faut jamais préjuger de rien et qu'il est normal de laisser les responsables faire leur travail avant de juger de leurs actes.
Or, le protocole de prise de fonction du Chef de l'Etat suite à son élection est un moment à la fois solennel et fondateur d'une démarche. Le moment précis où le Président, élu par l'Assemblée Constituante, s'adresse, pour la première fois en sa qualité de chef de l'Etat, aux représentants du peuple inaugure une ère nouvelle qui se dessine à travers les mots prononcés en direction du peuple, du haut de la tribune de l'Assemblée.
La parole présidentielle a donc un sens qui oblige. Dans l'histoire moderne du pays, le peuple a à juger du discours du Président Moncef Marzouki à la lumière des deux premiers textes fondateurs : celui de Bourguiba à son accession au pouvoir en 1956, en partie mis en application, et la déclaration du 7 novembre 1987, restée inaccomplie sous le règne de Ben Ali.
Dans la sphère publique, les pratiques discursives sont des pratiques politiques et la parole présidentielle est un instrument de pouvoir : en s'exprimant, l'Etat agit avec des mots. Cette parole reflète l'unification de l'Etat. Elle n'est plus celle d'un homme, celle d'un parti, celle d'une troïka, elle est celle du système qui se propose d'administrer les citoyens.
C'est justement la question de la citoyenneté, telle qu'elle a été formulée par le Chef de l'Etat, qui m'a amené à proposer cette contribution au débat public, d'autant plus qu'on est à l'aube de la rédaction d'une nouvelle Constitution qui déterminera les règles fondamentales du vivre ensemble.
Au-delà de la répartition actuelle des prérogatives inscrites dans la « petite constitution », la fonction présidentielle incarne le pouvoir symbolique qui fonde le contrat social. Il est donc capital de saisir la direction qu'il veut imprimer aux rapports sociaux dans les semaines et les mois à venir.
La question politique
Le discours présidentiel s'est placé d'emblée sous le signe des droits de l'Homme. Naturel pour un ancien Président de la Ligue tunisienne pour les droits de l'homme. Il a, d'abord, pointé les manquements et les injustices de la dictature de Ben Ali (tortures, emprisonnements, répression, exil, etc.). Ensuite, il a confirmé la volonté de placer les actes futurs de la présidence sous la référence explicite à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (DUDH). Le diagnostic sur les difficultés et les défis qui attendent la nouvelle équipe au pouvoir est largement consensuel et s'inscrit dans un esprit de « rupture » avec le système de corruption de Ben Ali.
Sur un plan général de philosophie politique le discours présidentiel donne l'impression de coller aux « objectifs de la Révolution », mais dans sa formulation et dans le choix des mots, il installe quelques zones d'ombre qui perturbent, pour ainsi dire, la claire perception de la démarche future des autorités publiques.
En parlant, à titre d'exemple, de la volonté d'instaurer une « république civile démocratique et pluraliste », il introduit un concept flou qui n'a aucune référence dans les sciences politiques. Alors que l'opposition politique et les composantes de la société civile tunisiennes, dont fait partie la Ligue des droits de l'homme, ont brandi durant des décennies la revendication d'un « Etat de droit » qui organise l'égalité des droits entre tous les citoyens sans discrimination, le discours présidentiel introduit le concept de « république civile » importé du débat interne à l'Egypte.
Rappelons que, historiquement, le concept de « république civile » est né en Egypte. L'opposition islamiste à Nasser, après 1952, revendique le passage à une république civile par opposition au régime militaire instauré. Plus tard, le même concept réapparaît dans la plume des idéologues des Frères musulmans qui le brandissent à la face des libéraux et des laïques qui les accusent de vouloir instaurer une république islamique. La république civile est pour eux un système pluraliste et démocratique où les lois sont promulguées par un parlement et où les dirigeants élus ne peuvent être ni des militaires ni des hommes de religion. Le concept, en fait, a été utilisé pour exclure les représentants de l'armée égyptienne qui accaparaient le pouvoir et ceux d'Al Azhar. Les thuriféraires de l'islamisme continuent à écrire que l'Etat islamique est un système civil dont la référence est l'identité islamique. Dans leur entendement, le recours à la charia n'exclut pas le caractère civil de l'Etat. Certains même vont jusqu'à dire qu'à l'intérieur du projet islamique qui fonde l'unicité de l'Etat chaque communauté religieuse (musulmane ou copte) peut se réclamer de sa doctrine religieuse pour légiférer. Dans ce cas de figure, les Constituants tunisiens ont du pain sur la planche.
D'autre part, l'expression réitérée de la volonté de « protéger » les droits des tunisiens et d'assurer la sécurité « sans toucher à la liberté » dénote d'une conception virile qui s'écarte de la philosophie de la DUDH. En effet, selon cette déclaration, seule la famille requiert « la protection de la société et de l'Etat » (art. 16). Par contre, les individus jouissent de « la protection de la loi » (art.7). Le personnel politique en charge de l'Etat n'y joue aucun rôle. Et si des droits ne sont pas respectés, par ce même personnel politique ou par des citoyens, c'est au tribunal de les restituer. La différence est de taille.
Ce qui ajoute au trouble, c'est l'attitude exprimée à l'égard de l'opposition. En la questionnant sur son « fair play », sur son « honnêteté », le discours présidentiel marque une frontière. Bien qu'il n'y ait pas eu d'élaboration sur cette question fondamentale en démocratie, le ton employé a introduit une gêne certaine, confirmée d'ailleurs, plus tard, par la réception protocolaire des responsables de l'opposition au palais de Carthage. L'appel à « une trêve sociale et politique », formulée ultérieurement au micro des journalistes, confirmera-t-elle, comme le pensait Pierre Bourdieu, « le silence, la seule forme d'expression laissée aux dominés» ? Personne ne le souhaite.
Il est clair, enfin, que la référence à la DUDH a privilégié les droits économiques et sociaux (emploi, éducation, santé) sans omettre les droits d'opinion, d'expression, de manifestation et d'élection. Cependant, le Président semble prendre une liberté avec la Déclaration puisqu'il lui prête un droit nouveau, « le droit à l'habillement » alors que ni la DUDH – ni même les déclarations arabe et islamique !- ne le consacre comme un droit fondamental. La seule mention de l'habillement dans la DUDH se trouve dans son article 25 consacré au « droit à un niveau de vie suffisant » dont l'habillement (contraire au dénuement) fait partie. Est-ce une concession faite à ses alliés islamistes ? Toujours est-il que cette parole met en question, sans le dire, comme nous le verrons plus loin, l'universalité des droits.
Cela pose, en définitive, au-delà de la querelle sur les mots, le problème crucial de la citoyenneté. Le discours présidentiel donne l‘impression que, suite à la transformation du monde politique (dissolution du RCD et de la police politique, emprisonnement d'anciens responsable politiques, élection d'une Assemblée Constituante et d'un Président, etc.) le nouveau pouvoir fait face à un ordre social constitué qu'il s'agirait de refonder pour asseoir une nouvelle « légitimité » culturaliste.
Le fétichisme politique ou le syndrome du niqâb
La triade « Mounaqqabât, mouhajjabât, sâfirât », utilisée par le Président Marzouki pour signifier sa volonté de protéger toutes les tunisiennes, comme les sons en musique, se compose de trois éléments : la fondamentale, sa quinte et sa tierce. C'est ce troisième élément, sâfirât, saisi dans sa connotation péjorative, qui a fait débat.
Si l'on se réfère à Lissan al Arab, sâfirât vient de sa /fa/ ra. Safirat al mar'atou veut dire qu'elle a enlevé son niqâb, qu'elle a montré donc son visage en le dévoilant. La même explication se retrouve dans d'autres dictionnaires (al- Mo'jam et al- Qâmous al-mouhit). Dans cette construction du sens en arabe, la base (la fondamentale en musique) est la femme portant le niqâb . On ne peut donc, du point de vue linguistique, parler de « femmes sâfirât » que par rapport à celles qui portent le niqâb. L'ordre des mots « Mounaqqabât, mouhajjabât, sâfirât » marque ainsi une hiérarchisation. Le niqâb (de na/ qa/ ba : trouer) suppose un tissu troué pour laisser apparaître les yeux. Le hijâb, par rapport au niqâb, serait permissif puisqu'il dévoile le visage en entier. Al soufour est un degré supplémentaire (excessif ?) de dévoilement. Cette triade telle que formulée porte les stigmates d'une conception fondamentaliste et communautariste de la société où les citoyennes ne sont considérées comme appartenant à la communauté que lorsqu'elles revêtent le voile dit islamique. En son absence, elles sont proprement « excommuniées » et traitées de tous les maux de la terre.
Qu'en est-il des femmes tunisiennes, occidentalisées ou non, celles que nous rencontrons dans les rues, dans les lieux de travail, à la maison, et qui ne portent aucun accoutrement ? Celles qui n'ont jamais porté ni niqâb ni hijâb n'ont proprement pas de place dans cette triade. En d'autres termes, la Tunisienne, qui n'obéit pas au code vestimentaire islamiste (hijâb) ou wahhabite (niqâb), est proprement exclue du champ de la parole présidentielle. La phrase fait comme si elle n'existait pas. Pour exister, elle doit avoir porté soit le niqâb soit le hijâb, et l'avoir ôté.
Le plus troublant venant d'un ancien Président de la Ligue des Droits de l'Homme, c'est que son discours – est-ce là une trace de l'inconscient ?- impose un code vestimentaire féminin. En l'absence de référence à un code masculin équivalent, la phrase établit une nette discrimination sociale fondée sur des considérations supposées religieuses. Elle instaure en outre une ségrégation entre trois « catégories » de citoyennes, et ce en totale contradiction avec l'article 2 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui stipule que chacun peut se prévaloir de ses droits « sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion ». Le code vestimentaire – comme tous les codes sociaux - s'inscrit dans un rapport de domination culturelle qui s'impose à la moitié féminine de la société, rejetée en réalité dans l'espace de l'Autre, en dehors du champ de ce qui est permis. Les femmes tunisiennes sont classées en fonction non de leurs droits et de leurs devoirs, en tant que citoyennes à part entière, mais en tant que corps porteur de vêtements.
Tout le monde sait que la réalité tunisienne est autre. Les femmes portant le niqâb - ne dépassant pas quelques centaines - ne doivent la reconnaissance sociale qu'à ceux qui les mettent en scène sur la place publique. Par la manipulation politicienne, le voile et le niqâb – qui ont pour fonction première d'extraire la femme de l'espace public – sont remis, à dessein, au centre de l'arène politique.
Nous le savons depuis la nuit des temps que la domestication du corps fait partie de la logique de domination symbolique que tout système – qui ne croit pas à l'égalité entre les citoyens – tente d'imposer à l'ensemble de la société. Cette tendance fait partie des pratiques politiques qui privilégient la forme au détriment du contenu et de la fonction.
Pour terminer, je dirais que c'est probablement le souci du style qui prime dans l'affirmation d'une identité sociale et culturelle. Le port du burnous en testif, signe tribal de l'élection, s'associe au non-port de la cravate pour marquer une ligne de démarcation symbolique entre l'ici et l'ailleurs. S'ajoute à cela la structure du discours qui mêle le politique au religieux. Un discours politique « moderne » enveloppé dans une chape « religieuse » qui clôt la cérémonie par un morceau liturgique, un doua' semblable à celui du prêche de l'imam, un vendredi à la mosquée.


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