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Les maîtres mots: bonne gouvernance, investissement, innovation et internationalisation Relance économique, un an après le déclenchement de la Révolution
• Chedly Ayari, ancien ministre de l'Economie : «Les promesses irréalistes des partis sont à l'origine des grèves, sit-in et blocages des routes» • «La réalisation d'un taux de croissance de 4,5% en 2012 est un vœu pieux», estiment les experts Alors que le gouvernement tente, sans grand succès, de jouer au sapeur pompier pour éteindre les innombrables braises incandescentes d'une contestation sociale mêlant revendications légitimes, règlements de compte et arrière-pensées politiciennes, le débat sur la relance de la machine économique grippée depuis plus d'un an tarde à s'installer. La pléthore de partis et d'organisations de la société civile ayant pignon sur rue depuis de longues années ou nés dans le sillage de la dernière fièvre révolutionnaire n'ont jusque-là manifesté aucun intérêt pour cette question, laissant les gouvernements provisoire et élu ramer seuls et souvent à contre-courant. L'exception qui confirme la règle est venue de la Confédération Générale Tunisienne du Travail (CGTT). L'organisation syndicale interdite sous le règne de Ben Ali et qui joue désormais des coudes avec l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) a organisé hier à Tunis un séminaire sur le thème «Relance économique et responsabilité sociale des entreprises, un an après le déclenchement de la révolution tunisienne». Economiste de renom, membres du gouvernement et représentants de la Confédération des Entreprises Citoyennes de Tunisie (CONECT, patronat) ont, à cette occasion, brossé un tableau de la situation économique actuelle et cerné les mesures à entreprendre pour réanimer une économie anémiée. Slim Besbès, secrétaire d'Etat auprès du ministre des Finances, s'est montré plutôt optimiste en précisant que le coût économique et social de la révolution du jasmin n'a pas été exorbitant en comparaison avec les autres révolutions arabes où encore avec les soulèvements contre la dictature qui ont eu lieu par le passé. Il a également invité la société civile, les syndicats et l'ensemble de la classe politique à assumer leurs responsabilités en matière de relance de l'économie, rappelant que l'Etat tunisien est interventionniste et non pas dirigiste. Gouvernance catastrophique Les économistes, qui ne jurent que par les chiffres, sont allés dans le sens inverse du discours policé et de l'optimisme de façade du secrétaire d'Etat auprès du ministre des Finances. Chedly Ayari, ancien ministre de l'Economie et du Plan, a estimé que l'heure est grave. « En 2011, l'économie tunisienne n'a pas créé des richesses. Le taux de croissance économique tourne autour de -1, 8% alors que le taux de chômage a grimpé à 18%, selon les données officielles. Cela n'est pas arrivée en Tunisie depuis 1986 », a-t-il précisé. Et d'ajouter : « la situation économique actuelle ne s'explique pas par un manque de ressources financières. Preuve en est : les volumes des investissements prévus par les projets de budgets économiques relatifs aux années 2010 et 2011 étaient identiques (15,5 milliards). Mais ces investissements ont donné un taux de croissance de 3% en 2010 et une croissance négative durant l'année écoulée ». Où réside donc le problème ? Réponse de l'éminent professeur des sciences économiques : « c'est la gouvernance de la période post-révolution qui a été catastrophique. Tous les acteurs de la gouvernance, en l'occurrence le gouvernement, les partis politiques et la société civile ont très mal géré la situation ». M. Ayari précise que les gouvernements qui se sont succédé depuis le 14 janvier ont cédé à la pression de la rue. Le premier et le deuxième gouvernement de Mohamed Ghannouchi ont été complètement incapables de résister aux revendications sociales. Le gouvernement de Béji Caïd Essebsi a, quant à lui, choisi la méthode de l'apaisement conjuguée à un discours bourguibiste qui a calmé un peu les tensions sans s'attaquer aux problèmes de fond. Les partis ont été, de leur côté, enivrés par le climat des libertés avant de se lancer dans une folle course de pouvoir sans se soucier des préoccupations de la population. Idem pour la société civile qui a péché par un grand manque de stratégie et de travail de terrain. « Tous ces acteurs récoltent aujourd'hui ce qu'ils ont semé. Les promesses irréalistes des partis qui ont construit des châteaux en Espagne en parlant d'un taux de croissance de 8% et de plusieurs centaines de milliers d'emplois à créer sont à l'origine des grèves, sit-in et blocages des routes. Les électeurs se sentent aujourd'hui floués », affirme Chedly Ayari. Selon lui, la survivance de la nation tunisienne est aujourd'hui menacée par l'explosion des revendications sociales et la résurgence du régionalisme. Mesures urgentes Sur un ton moins alarmiste, Hafedh Abdennabi, professeur d'économie à l'Institut des Hautes Etudes Commerciales de Carthage, que les acteurs économiques, politiques et sociaux sont en mesure de redresser la barre à condition de remplacer l'ancien modèle de développement basé sur les industries traditionnelles et l'encouragement des délocalisations des entreprises européennes actives dans des secteurs à faible intensité de technologie par un nouveau modèle reposant sur trois piliers : l'innovation, l'investissement et l'internationalisation. « Une nouvelle politique industrielle reposant sur des stratégies de montée en gamme et des partenariats favorisant le transfert de technologies doit être adoptée. L'étroitesse du marché local oblige également les grandes entreprises tunisiennes à sortir de leurs frontières. La conjonction de tous ces facteurs générera une croissance soutenue et capable d'atténuer le taux du chômage », a-t-il suggéré. Outre l'adoption d'un nouveau modèle de développement, l'expert souligne l'impératif d'instaurer une gestion publique des affaires fondée sur la bonne gouvernance et la transparence. Les mesures les plus urgentes sont, selon lui, l'octroi d'incitations particulières aux jeunes issus des régions défavorisées afin d'amorcer un climat de confiance entre les acteurs économiques, l'administration et les citoyens de ces régions. L'Etat est également appelé à lancer le plus vite possible des projets d'infrastructure visant à désenclaver les régions déshéritées. Il s'agit concrètement d'aménager des routes et des réseaux ferroviaires permettant de relier les régions de l'ouest aux régions côtières afin d'attirer les investisseurs vers les territoires jusque-là marginalisés.