• La situation dans le pays ne permet plus de lenteur et d'atermoiements. Il est urgent d'agir. Et la société civile gagnerait à coordonner son action avec le pouvoir en place. Depuis le déclenchement de la Révolution du 14 janvier, plusieurs évènements d'ordre politique, social et juridique, se sont déroulés en Tunisie, en rapport avec la justice transitionnelle. Des commissions ont été mises sur pied à l'instar de celle concernant l'investigation sur la corruption, ou des dépassements des droits de l'homme, de réforme de l'information ou de la sécurité. .. Ces initiatives s'avèrent insuffisantes et même marquées par le sceau de l'improvisation. Des procès sont en cours…Un sentiment d'insatisfaction persiste. Le besoin d'une justice transitionnelle se ressent de plus en plus. Quelle cadre juridique donner à la Justice transitionnelle ? Quel rôle doit jouer l'Etat dans cette entreprise ? Quelles leçons devra-t-on tirer des autres expériences à travers le monde ? Plusieurs représentants de la société civile étaient présents hier à l'atelier consacré à ces questions et organisé par l'Institut Arabe des Droits de l'Homme, le Centre International de la Justice transitionnelle et la Coordination nationale de la Justice transitionnelle. La justice transitionnelle a connu plusieurs évolutions à travers le monde, durant un quart de siècle. Elle est considérée comme un signal de changement et une porte d'entrée pour la reconstruction de l'Etat…Son domaine d'intervention est la lutte contre les agressions et les atteintes aux droits de l'homme ayant eu lieu dans le passé. Le traitement de ces atteintes doit être global, pour prévenir les éventuels dépassements futurs. Samir Dilou, ministre des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle, rappelle que « nous avons conquis la liberté, mais pas la démocratie. Nous sommes sur la voie de la Démocratie. En cette période transitoire les atteintes aux Droits de l'Homme ne finissent pas. Elles ne reflètent pas un choix de l'Etat mais des dépassements individuels ». Le pays a vécu des dizaines d'années durant des violations des droits de l'Homme. La création de son ministère, dit-il « ne veut pas dire que l'Etat aura mainmise sur les Droits de l'Homme et la Justice transitionnelle. Pour garantir la justice transitionnelle l'Etat n'a aucun intérêt à la monopoliser. La réconciliation doit être fondée sur un consensus national. La loi que promulguera l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), sera le fruit de concertations ». Depuis le premier mois de la Révolution, plusieurs associations ont engagé des actions de sensibilisation et ont fait mûrir les idées à propos de la justice transitionnelle. Comment doit-elle se faire ? Quelle période devra-t-elle couvrir ? Combien vont durer ses travaux ? Comment seront composées les commissions qui se pencheront sur la justice transitionnelle ? Le ministre affirme et promet que « l'Etat n'a aucunement l'intention de domestiquer le processus de Justice transitionnelle. Il jouera le rôle de facilitateur. Une Instance indépendante se chargera de cette action. L'Etat établira la loi et mettra à la disposition de l'instance la logistique nécessaire pour l'exercice de son travail ». Réponses partielles Amor Safraoui, Coordinateur de la Coordination nationale de la Justice Transitionnelle qui regroupe 25 associations de la société civile, rappelle que depuis le déclenchement de la Révolution plusieurs rencontres ont appelé à la nécessité de la Justice transitionnelle pour réussir la transition démocratique. Les gouvernements précédents n'ont pas convenablement répondu aux appels de la société civile. Leurs réponses étaient partielles et contournaient l'essentiel du problème. Elles se limitaient à la création de commissions et aux dédommagements. « C'est ce qui explique la perte de l'autorité de l'Etat », affirme Amor Safraoui en ajoutant que la Constituante a rattrapé le retard en votant l'article 23 de la loi fondamentale d'organisation provisoire des pouvoir, stipulant qu'une loi instituant la justice transitionnelle sera promulguée. La création du ministère des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle a suscité des craintes que ce département ne récupère le travail de la société civile, une appréhension que le ministre a écartée. La Coordination, comprend plusieurs associations de la société civile. Elle milite pour que le principe du « rendre compte prenne la place de la fuite de la justice ». Il s'agit de mettre les mécanismes qui évitent de reproduire les anciennes pratiques. La Coordination précise que la situation dans le pays ne peut plus supporter la lenteur du pouvoir. Les familles des victimes ne peuvent plus attendre. La procédure judiciaire ordinaire est lourde. Des hommes d'affaires attendent que les horizons se clarifient pour qu'ils investissent. « Il est urgent, d'agir », dit Amor Safraoui. La justice transitionnelle a été de tout temps l'affaire de la société civile, dans tous les pays du monde. L'action de la société civile doit se faire en relation et coordination avec le pouvoir en place. Sa réussite dépend de la mise en place des conditions propices pour l'ouverture des dossiers de corruption et de passe-droit dans la justice, la sécurité et l'information. Société civile et Etat, deux partenaires Habib Nassar, Directeur du District du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord au Centre International de Justice Transitionnelle, rappelle qu'il était en Tunisie il y a un an. Il était très impressionné par le contenu des débats sur les élections, l'élaboration d'une nouvelle constitution… « Nous discutons, aujourd'hui un projet préparé par la Coordination après les premières élections libres. Il y a cinq ans lorsque je suis venu en Tunisie, il fallait user de toutes les ruses pour éviter la police politique. Aujourd'hui, à quelques mètres du ministère de l'Intérieur, nous discutons d'atteintes aux Droits de l'Homme, perpétrées par quelques fonctionnaires de ce ministère ». Quel changement ! Le chemin est long. Il ajoute que « la société civile et l'Etat sont les deux partenaires de la Justice transitionnelle ». Réunir les états généraux de la justice transitionnelle est une bonne initiative, dit-il. La société tunisienne enfantera sa propre justice transitionnelle. Plusieurs expériences existent à travers le monde. Chacune est spécifique à la société où elle est née. Abdelbasset Ben Hassen, président de l'Institut Arabe des Droits de l'Homme a précisé que la Coordination de la société civile pour la justice transitionnelle a travaillé durant des semaines pour concevoir une proposition de loi. C'est que la société civile est passée du stade de la confrontation à celui de la force de propositions. A côté des critiques, la société civile doit participer à l'élaboration des solutions. « Dans le processus de justice transitionnelle, la responsabilité est collective. Il faut éviter la logique de l'exclusion », dit-il. L'Institut avait organisé au mois d'avril dernier un colloque international sur la justice transitionnelle. Des sessions de formation ont été organisées au profit des partis politiques. Des visites ont été effectuées dans les régions intérieures du pays, comme Thala, Kasserine, Ben Guerdane…Les discussions avec des habitants de ces villes révèlent une insistance pour que la justice sociale et économique soit incluse dans l'approche de la Justice transitionnelle. Les avancées enregistrées dans le dossier politique, nécessitent une consolidation par l'inclusion des droits dans la Constitution. De toute façon, il est absolument nécessaire de décortiquer le système de corruption, d'assurer le rendre compte et de réconcilier les Tunisiens avec leur mémoire. Le totaliatrisme, ajoute Abdelbasset Ben Hassen, « peut réapparaître de nouveau lorsqu'il y a une confusion entre idéologie et politique, discrimination entre les sexes, mainmise sur l'administration ». La réussite de la justice transitionnelle est une entrée pour le développement et la transition démocratique.