Me Mondher Cherni, secrétaire général de l'Organisation de Lutte contre la Torture en Tunisie: «un pas positif, mais les châtiments prévus par la Chariaâ sont aussi des actes de torture». La commission des droits et des libertés au sein de l'Assemblée constituante a adopté, mercredi-midi, le principe de l'imprescriptibilité du crime de torture et recommandé à la commission de la législation générale d'amender l'article 5 du décret-loi N° 106 datant du 22 octobre 2011 qui fixe le délai de prescription du crime de torture à 15 ans. «La torture doit être un crime imprescriptible. C'est un sujet sur lequel nous sommes d'accord et qui fait, à mon avis, l'unanimité auprès de tous les Tunisiens», a déclaré Farida Laâbidi, membre de l'Assemblée constituante élue sous les couleurs d'Ennahdha et présidente de la commission des droits et des libertés. Et d'ajouter : « un décret-loi promulgué sous le gouvernement Caïd Essebsi comporte un article qui amnistie les crimes de torture qui datent de plus de 15 ans, accordant ainsi l'impunité aux tortionnaires ayant sévi avant 1996. Nous nous attachons à ce que l'article en question soit amendé». De son côté, Ibrahim Kassas, élu d'Al-Aridha Chaâbia (pétition populaire pour la liberté, la justice et le développement) a indiqué que l'article 5 du décret-loi N° 106 promulgué par l'ancien président de la République provisoire Foued Mebazaâ « vise à protéger certains anciens membres du gouvernement qui pourraient être poursuivis pour des actes de torture ». Elu du Mouvement du Peuple (formation d'obédience nationaliste arabe), Mourad Amdouni a, quant lui, noté que la torture est monnaie courante en Tunisie depuis l'indépendance de la Tunisie. « Les Yousséfistes ont été torturés jusqu'au milieu des années 70. Les pratiques de torture ont ensuite concerné les militants de gauche puis les islamistes», a-t-il souligné. L'adoption du principe de l'imprescriptibilité du crime de torture doit permettre, de facto, à toutes les anciennes victimes de torture de demander l'ouverture d'enquêtes ou d'engager des poursuites judicaires contre leurs tortionnaires qui sont toujours en vie. Un pas positif, mais… Du côté des organisations de défense des droits de l'Homme, on se félicite d'une avancée de taille qui permettra de mettre fin à l'impunité dont bénéficient jusqu'ici les tortionnaires. «L'adoption du principe de l'imprescriptibilité du crime de torture, qui est souvent considérée comme un crime contre l'humanité, est en phase avec les conventions internationales relatives aux droits de l'Homme», se réjouit Me Abdessattar Ben Moussa, président de la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l'Homme (LTDH). L'affaire comporte-t-elle, cependant, des arrière-pensées politiciennes surtout que l'ex Premier ministre provisoire Béji Caïd Essebsi, qui se pose désormais comme le rassembleur de l'opposition à la troïka au pouvoir actuellement, est visé par une plainte pour torture dont les faits remontent à son passage au ministère de l'Intérieur entre 1956 et 1969 ? Indépendamment des personnes qui pourraient être visées, il faut saluer cette mesure. Et puis qui a dit que Caïd Essebsi est coupable d'actes de torture ? Cela reste à prouver », répond Me Ben Moussa. Pour Me Mondher Cherni, secrétaire général de l'Organisation de Lutte contre la Torture en Tunisie (OCTT), l'imprescriptibilité du crime de torture constitue «un pas positif qui va permettre à des milliers d'islamistes torturés au début des années 90 de demander justice et réparation». Me Cherni appelle, toutefois, les membres de l'Assemblée constituante à adopter le principe du respect de l'intégrité physique de la personne et surtout à renoncer à inscrire dans la future Constitution un article stipulant que la Chariâa est la principale source de la législation. «Les châtiments prévus par la Chariaâ comme la lapidation de la femme adultère ou l'amputation de la main du voleur sont aussi considérés par les organisations de défense des droits de l'Homme comme des actes de torture», a-t-il averti. Walid KHEFIFI