Il fut un temps, bien révolu, où les fêtes nationales étaient des mascarades, insipides et figées, car le gouvernement se contentait d'orner villes et villages avec drapeaux et guirlandes, organisait une cérémonie grandiose dans un lieu fermé au peuple. Des rangées d'invités arboraient l'écharpe rouge ou mauve et applaudissaient un de ces discours mièvres. Cela n'avait aucun intérêt, cela était d'un ennui mortel. Ce 20 Mars, Avenue Bourguiba, il en était tout autrement. Le gouvernement n'a fait aucun effort festif : aucun drapeau n'a été hissé le long de l'avenue. Beaucoup ont été étonnés et déçus par l'absence de l'emblème national dans les environs et les banlieues. Ce symbole, profané, il y a si peu, a pris toute sa dimension identitaire, aujourd'hui : toute l'avenue en fut inondée. Brandi, porté, il flotta, pendant plusieurs heures par une marée humaine venue fêter cette date bénie, celle de l'indépendance. Une des leçons de la Révolution est la réappropriation de son Histoire. Cette date a un sens, désormais, pour des citoyens confisqués de leur vécu : elle est le trait d'union entre le passé, la lutte pour la liberté et un présent que nous enfantons, tous ensemble. Depuis 11h du matin, la foule composée de jeunes, femmes, enfants venus apprendre, sur le tas, la pratique démocratique, bat le pavé, la société civile, bien présente, avait décidé de faire de cette journée des retrouvailles et un moment de revendications après les derniers évènements, assez préoccupants, il faut le remarquer. De très nombreux slogans, brandis et scandés en chœur, beaucoup de créativité, comme dans ces moments cruciaux où le combat excite l'imaginaire. Le slogan récurrent « Le peuple veut un état laïc », d'autres dénoncent cette idée anachronique de « Califat », d'autres encore condamnent le fanatisme religieux, tel celui-ci « Ce n'est pas la Tunisie dont je rêve pour mes enfants et les vôtres » ou « Oui, à la démocratie, non, à l'exploitation de la religion » ou, encore « Islam et modernité ne sont pas incompatibles, Islam et tolérance, non plus. Alors, soyez intelligents ». Un groupe de femmes, plutôt âgées, exhibent ce slogan « Je suis une tunisienne libre et musulmane. L'Islam ne s'est jamais opposé au savoir et au modernisme ». Mais, de nombreuses voix nous rappellent à une réalité bien amère : le fléau dont souffrent une majorité de citoyens, demeure le chômage, la précarité, les conditions de vie pénibles, la cherté de la vie « L'emploi est un droit ». Un groupe de jeunes chômeurs parcourt l'allée centrale et entonne une chanson sur les souffrances endurées par ces marginalisés. Un moment fort. Les associations féminines et de nombreuses citoyennes, mais, également de citoyens sont venus dire leur détermination à se battre pour les acquis de la femme qui ont favorisé l'évolution de l'ensemble de la société. On a, même entendu des jeunes crier « Vive Bourguiba ! », « Pas de régression concernant les droits des femmes », « Tunisienne, libre, la tête haute, je demeure et que vive mon pays et que flotte son emblème » et puis ce vers magnifique de Chebbi : « Lève-toi et marche pour survivre « Celui qui abandonne le combat « La vie ne l'attend pas » Le chant de Cheïkh Imam qui célèbre la lutte des forces vives « Chayed kousourak » fut longuement fredonné, repris comme un air de ralliement. Une fête pour se souvenir de ce passé fondateur et pour être l'artisan de sa propre histoire.