En 2008, Matteo Garrone obtient le Grand Prix à Cannes pour son film « Gomorra » adapté du livre du même titre de Roberto Saviano dans lequel il attaque la Camorra. Avec « Reality qui concourt pour la palme d'or, il change de registre en optant pour la comédie pour dénoncer la téléréalité en prenant le soin de ne pas tomber dans la critique sociale. Les événements se passent à Naples comme dans « Gomorra ». Luciano (Aniello Arena) poissonnier de son état s'enrichit grâce au commerce de robots ménagers. Sa famille le pousse à participer à la téléréalité « Grande Fratello ». Il passe les premiers tests, mais l'attente d'être convoqué tourne pour lui à l'obsession. « Reality » est un conte cruel et baroque sur la réalité des quartiers populaires de Naples. La séquence du mariage, que vient rehausser de sa présence un des lauréats de l'émission de téléréalité et qui s'étend du jour à la nuit dans un « palazzo » ancien symbolisant une époque de faste et de raffinement, est symbolique à plus d'un titre, tout autant que les studios de Cinecitta symboles eux aussi d'une rêverie cinématographique incarnée par Federico Fellini sont investis par cette émission « Grande Fratello ». Le film bascule entre réalité et rêve avec subtilité sans tomber dans la mièvrerie. La musique contribue de manière efficace à créer une ambiance onirique accentuant la beauté des séquences. Curieusement, l'acteur principal Aniello Arena, acteur de théâtre emprisonné depuis près de 20 ans a obtenu une autorisation de sortie pour tourner le film. Matteo Garrone n'a pas la prétention de faire œuvre ni de satire sociale, ni de comédie à l'italienne. Mais cela ne l'empêche pas de rendre hommage aux grands cinéastes italiens par une série de clins d'œil à Fellini notamment la scène de la longue file d'attente des figurants qui attendent pour un casting à Cinecitta. « Reality » n'est pas sans rappeler « L'Argent de la vieille » de Luigi Comencini, qui racontait comment Alberto Sordi rêvait de s'enrichir en fréquentant une vieille américaine. Aujourd'hui, le rêve n'est plus seulement américain, il s'est internationalisé en prenant le visage de la téléréalité. S'il y a une lecture politique à faire, on dirait que l'impérialisme américain a pris la forme d'une aliénation médiatique qui passe par le jeu et à laquelle il est difficile de lutter. Il y a dans ce film la revendication d'un certain humanisme représenté par les pauvres gens qui affichent une candeur à laquelle ils se trouvent piégés. Matteo Garrone dénonce, s'il en est, la télévision qui a fait beaucoup de mal aux spectateurs en leur faisant miroiter l'enrichissement facile et la célébrité. Le petit écran a été un beau mirage à l'époque de Berlusconi, faut-il s'en souvenir ? De notre envoyée spéciale : Inès Ben Youssef