« L'art et rien que l'art. C'est lui qui nous permet de vivre, qui nous persuade de vivre, qui nous stimule à vivre » ( Nietzsche ) Belle affiche. Métaphore de l'arbre, symbole de vie, de fertilité, de régénérescence, de résistance. Et l'arbre asséché, blessé, déraciné, gaulé, coupé, meurtri. Entre les deux, la frontière du combat, d'une lutte âpre pour survivre, pour verdoyer, ressusciter, plonger ses racines dans le ventre de la terre à la recherche d'une source enfouie, tapie dans l'ombre, désaltérante et vivifiante, d'une eau bénite, diaphane, pourvoyeuse de fraîcheur et d'inspiration, d'imagination et de créativité.
Dur combat de l'artiste qui se consume pour que l'arbre fleurisse à chaque saison, étale la splendeur de sa floraison, majestueux et vivant afin que nos yeux en soient éblouis et émerveillés, afin que notre regard soit repu par les couleurs enchanteresses d'un printemps recommencé.
Combat harassant que celui du créateur, cloîtré dans un atelier, dans une chambre, pris par ce délire fiévreux de l'inspiration, fébrile et nerveux, passant des heures, des jours, des mois à chercher un mot évadé, échappé, perdu, jouant à cache-cache avec une mémoire vacillante. Où es-tu mot qui torture le sommeil et obsède les matins blafards ? On a beau chercher dans les coins les plus reculés de la mémoire, mais tu restes inconnu, étranger, emmitouflé dans ton voile opaque. Où es-tu rime qui dérive au gré du son, joueuse et espiègle ? Où es-tu couleur imaginée un instant et puis fuyant ? On a beau mélanger les ocres, les rouges, les jaunes, les bronzes, sans parvenir à décrire les ors d'un soleil couchant. La palette se rebelle, le pinceau est prisonnier d'un éclat fané, d'une tentative avortée. Combien de jours à recommencer pour que l'alchimie prenne enfin ? Où es-tu note qui retentit dans la tête, mais jamais atteinte ? Tu hantes les longues nuits de veille à te traquer, à te moduler, à tenter de te retrouver au détour d'une mélodie capricieuse. Où es-tu statuette qui file entre les doigts, la pâte coule, indomptable, durcit et se refuse aux caresses créatrices. Combien de temps à te pétrir, à t'insuffler chaleur et âme pour que tu sois malléable et obéissante ? Où es-tu âme du comédien, de l'acteur ? Comment faire pour jouer ce personnage torturé alors qu'on est transporté de joie, les jours où le bonheur irradie sa vie ? Quels gestes, quelles mimiques faudrait-il inventer pour que le faux-semblant soit vraisemblable ? Comment faire pour être aérien, alors que le corps est ankylosé et pesant ? Des jours à recommencer la même pirouette, à tenter de s'envoler, d'atteindre les nuages pour esquisser la danse d'une libellule. Où es-tu voix qui déraille à cause de ces répétitions infinies et épuisantes ? Des heures d'efforts pour trouver le « la » perdu, emporté par l'émotion.
Tant de combats contre soi et contre les autres, contre l'incompréhension, les préjugés, l'ignorance, contre son propre enfer et celui des autres. Un chemin de croix, la conquête ardue d'un monde qui se dérobe, qui dévoile son visage hideux. Un monde fait de contraintes, d'obligations, de prisons pour la pensée, de geôles pour l'art, de linceuls pour la création. Des hordes de loups affamés se jettent sur l'arbre en fleurs, griffent le tronc, lacèrent les branches, triturent le feuillage, souillent le sol fertile et généreux. Autodafé géant qui menace d'emporter la cité : l'idée agonise, la création étouffe, l'air se remplit de vociférations haineuses. L'arbre est abattu à coups de sabres. Les feuilles mutilées s'envolent, s'étalent sur le sol, meurtries. Silence effroyable. Et de désespérance, les oiseaux se taisent. Le jour fuit, les ténèbres s'abattent. Où êtes-vous, voix de la cité ? Muselées, agressées, violentées, menacées de mort, vos œuvres saccagées, vous vous débattez contre les forces obscurantistes qui embrasent le pays et déracinent l'arbre de vie que vous arrosez de sueur et de passion. Ils sèment des épines sur votre route, vous promettent le feu du ciel, tourments et châtiments.
Et pourtant, l'arbre éventré, prisonnier des chaînes et des barbelés, à l'ombre chétive, aux branches rabougries, assoiffé, torturé, puisera sa vigueur dans une goutte de sève qui contient la splendeur. Il lèvera la tête vers les cimes, regardera son ombre qui grandit dans le jardin d'Eden et reverdira.
L'art est liberté, victoire sur la mort, phénix au vol majestueux qui renaitra de ses cendres pour planer et nous émerveiller. L'arbre de la liberté ne saurait croître, s'il n'était arrosé de sang et de sève. Sa graine menue sait attendre, patiente, une goutte de lumière, une ondée printanière. Arbre de vie, pourvoyeur d'espérance, tu fais offrande de ton âme pour illuminer ce chemin éreintant. Olivier, palmier, figuier ou arbre de santal qui laisse sa fragrance sur la hache qui l'a coupé, peu importe, tu es « puissance qui lentement épouse le ciel », tu es la force de la vie et ses origines, tu es l'élan de la création, son bouillonnement, son geyser. Tu es l'écriture de la vie, rythme de la vie, mais aussi, quête de l'absolu, révélation libératrice, désir d'élévation.
L'art est liberté, énigme créatrice, reflet que « renvoie l'âme humaine éblouie de la splendeur du beau », combat incessant contre les entraves, l'oppression, la geôle et le bourreau. L'art est la vie, lutte et résistance, interrogations, doute et espérance. Il est ce feu sacré qui, jamais, ne se consume, feu de joie qui, à jamais, flamboie. Arbre de vie aux fleurs immortelles, tu enfantes ce désir ardent de survivre et de ressusciter, toujours vigoureux et vivant, malgré les assauts des tempêtes et du vent. Tounès THABET
* L'Art est liberté: manifestation artistique et culturelle organisée le 30 juin dernier par des associations de la société civile, des organisations des métiers de l'art et des artistes indépendants, au Belvédère.