S'il y a un secteur où tout le monde se plaint, c'est bien celui des viandes rouges. Côté consommateurs, tous les citoyens les désirent, mais peu d'entre eux parviennent à se les payer. De leur côté, les bouchers se disent victimes des éleveurs et ces derniers jettent tous les tords sur les coûts de l'orge et autres aliments d'engraissement des veaux et des moutons.
Commençons donc par le commencement : selon une source au ministère du Commerce, « le quintal d'orge, soit 100 Kg, coûte 45 Dinars, un prix qui n'a pas augmenté depuis longtemps. » Donc l'Etat n'est pas responsable de cette situation et de la montée des prix. Alors pourquoi ces prix élevés, quand la viande arrive chez le boucher ?
La réponse, nous la trouverons chez un berger qui est dans le métier depuis toujours : « chaque mouton reçoit pour un Dinar de nourriture par jour pendant plusieurs mois, avant d'être vendu. Imaginez ce qu'il nous coûte de sa naissance jusqu'à ce qu'il arrive à l'abattoir... » Une déclaration que le responsable du ministère du Commerce trouve « erronée, voire malhonnête, puisque les moutons ne sont nourris que durant l'été, lorsqu'il n'y a plus d'herbe verte dans les prés. »
Le consommateur, lui, s'étonne surtout de l'augmentation soudaine des prix depuis le début de Ramadhan, puisque le kilo de mouton a augmenté de deux à trois Dinars, passant allègrement de 15 à 18 Dinars ! Il semble que la forte demande a poussé les éternels spéculateurs, qui sont disséminés partout, à profiter de cette période pour faire des bénéfices plus que larges, pis que honteux...
Mais d'autres explications nous ont été fournies par divers intervenants. Selon des commerçants qui importent des marchandises de Lybie, il semble qu'un important trafic de moutons s'est organisé vers ce pays, où le kilo de viande atteint 25 Livres, soit presque le double des prix pratiqués chez nous.
Certains évoquent une autre cause : les bergers préfèrent attendre encore trois mois, pour vendre leurs moutons lors de l'Aïd El Kébir, lorsque la demande fera monter les prix en flèche. « De toutes façons, il est plus rentable de vendre un mouton à un particulier qui ne connait pas les prix, qu'à un boucher », assure un berger peu scrupuleux.
Les bouchers, eux, s'estiment victimes de la situation actuelle, puisque l'un d'eux affirme : « je suis obligé de vendre la viande au prix d'achat. Mon seul bénéfice, je le fais en vendant le foie et les tripes, ce qui est un gain bien mince au vu des toutes les charges... »
Et les stocks de régulations, diriez-vous ? Ils existent, mais d'après notre responsable du ministère du Commerce, « la viande bovine congelée n'est pas prisée à l'intérieur du pays et il n'y a que sur le grand Tunis qu'on la distribue. Aucune demande ne nous parvient en dehors de la capitale. C'est phénomène que nous n'arrivons pas encore à cerner. C'est peut être une question d'habitude. »
Il existe cependant des viandes rouges à bas prix, ou en tous cas à un prix plus abordable : il s'agit des vaches et des brebis, pour la simple raison que leur chair n'est pas tendre et leur goût pas très savoureux, contrairement au veau et au mouton. Ces bêtes réformées sont généralement distribuées dans les grandes cantines ou à de grands ensembles où la quantité prime sur la qualité.
Signe de cette crise des viandes rouges, le grand couloir des bouchers du marché central est presque toujours vide, alors qu'ailleurs on se bouscule entre les rayons des viandes blanches et du poisson. Une situation inextricable, où tous les acteurs sont coupables et tous les intervenants sont victimes.