«Le prolongement d'anciennes pratiques», selon Ahmed Rahmouni «Vouloir bloquer le mouvement ne sert à rien», affirme Raoudha Laâbidi
Le dernier mouvement des magistrats n'a pas l'air de contenter tout le monde, ce qui crée naturellement une atmosphère de critiques et d'insatisfactions. Les déclarations de l'Association des Magistrats Tunisiens et du président de l'Observatoire de l'Indépendance de la Magistrature Ahmed Rahmouni d'une part, et celles de Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des Magistrats de Tunisie se confrontent et divergent.
Ahmed Rahmouni, s'est confié, hier au Temps, pour dire que le « prétendu mouvement des magistrats n'est qu'un ensemble de décisions prises par le ministère de la Justice de façon unilatérale. C'est la deuxième fois après la Révolution que de pareilles décisions sont prises. Les décisions concernant les 800 magistrats ne sont que le prolongement d'anciennes pratiques ». De décembre 2011 jusqu' à fin mai 2012 une centaine de décisions de nominations de magistrats ont été prises, pour des postes vacants. 82 magistrats ont été démis. Après les démissions, ce nombre a été réduit à 71. Ahmed Rahmouni ajoute, « le ministre de la Justice avait affirmé, lors de cette opération de mise à l'écart de ces magistrats que le Conseil Supérieur de la Magistrature manquait de crédibilité. L'article 22 de la loi fondamentale d'organisation provisoire des pouvoir, appelait à la création d'une instance provisoire. Nous considérons que le Conseil supérieur de la Magistrature est dissous de fait. Le projet d'instance provisoire n'a été proposé qu'à la fin du mois de juin. Il a été présenté en plénière lorsque les magistrats étaient en vacances et les constituants à la veille de vacances ». Le président de l'Observatoire de l'indépendance de la Magistrature estime que le mouvement devait être établi par une instance indépendante avec des garanties de transparence loin des influences du pouvoir. « Il ne revient pas au pouvoir exécutif de nommer les magistrats. D'autant plus que par sa position le pouvoir judiciaire représente un vrai pouvoir ». Il affirme que les promotions ont été décidées dans le cabinet du ministre de la Justice comprenant des avocats appartenant au parti au pouvoir auxquels se sont alliés certains magistrats. Il précise que le ministre a pris ses décisions avec le consentement du Syndicat des Magistrats Tunisiens. « C'est une structure créée après la Révolution qui s'est alliée avec le ministère », dit-il. Il considère que les promotions, surtout dans les tribunaux de Tunis, ont pour objectif de répartir les tâches pour servir les prochains rendez-vous concernant les futurs procès et les dossiers de corruption. Que s'est-il passé ? Ahmed Rahmouni, affirme que « des magistrats indépendants ont été éloignés du tribunal de Tunis. Des titulaires de postes fonctionnels liés à d'anciens procès politiques ont été maintenus. Il n'a pas été tenu compte des procès politiques passés ».
Concernant le pôle de magistrats qui aura à instruire les affaires de corruption, formé de quinze membres promus, Rahmouni déplore que le procureur de la République ne soit autre que l'époux de la présidente de l'organisation patronale. Il y trouve un conflit d'intérêt. Il doute de l'honnêteté du mouvement des magistrats. Il précise que la réunion du Conseil supérieure de la Magistrature n'a duré que deux heures. Aucun dossier n'a été examiné. Certains membres du Conseil ont été démis de leurs fonctions sans qu'ils le sachent. Certains magistrats n'ont pas encore exercé. Ahmed Rahmouni, a été muté au ministère public, pour exercer sous l'autorité du ministre de la Justice.
De son côté Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des Magistrats Tunisiens a affirmé hier sur les ondes de MosaïqueFM, que « la responsabilité des problèmes générés par le mouvement des magistrats incombe à l'Assemblée Nationale Constituante. Elle devait promulguer la loi créant l'instance provisoire de la magistrature. Les membres de la Constituante sont entrés en vacances et revenus le 3 septembre. Il ne restait plus de temps pour promulguer cette loi. La promotion des diplômés de l'Institut Supérieur de la Magistrature était là. Le ministre avait parlé d'une commission formée pour opérer le mouvement des magistrats. Personne n'a réagi, sauf le Syndicat des Magistrats. Nous sommes un syndicat et non un partenaire politique. Nous avons dit qu'il n'est pas question que le pouvoir exécutif monopolise l'opération. Nous avons fixé des critères, sans avoir à participer de près ou de loin au travail fait par la commission. La commission dont un des membres fait partie de l'Association des Magistrats, a fait son travail. Nous ne mettons pas en doute la compétence de ses membres. En tant que syndicat notre rôle consiste à formuler des revendications et à négocier ». Elle déplore que certains aient considéré que les promotions sont « une manière de soudoyer les magistrats ». Ce sont des droits à ne pas occulter. Elle ajoute qu'il est permis de dire « qu'il existe des doutes et des personnes impliquées dans la corruption, mais il n'est pas question de citer des noms ». Par ailleurs, le syndicat n'a pas achevé sa lecture du mouvement effectué. Il est encore au stade de la réception des requêtes et objections des magistrats. Le syndicat examinera à la loupe ce mouvement pour voir si les critères qu'il avait avancés ont été respectés. « Vouloir bloquer le mouvement, est un slogan qui ne mène à rien. Nous voulons être pragmatiques pour mieux servir les intérêts des magistrats », conclue-t-elle.