Il était 9h30 du matin mais les gens étaient sur place depuis 8h. Lieu : le Tribunal de Tunis. Un grand rassemblement humain a lieu et bloque la route aux véhicules qui passaient. Le nombre des présents augmentait à mesure que le temps passait. Une mobilisation citoyenne spontanée à laquelle ont répondu présents dans les 500 personnes pour soutenir la jeune fille qui a été violée par deux policiers et dont le procès a pris une tournure hallucinante et surréaliste.
La jeune fille, dont le l'accusation a fait la « Une » des journaux nationaux et internationaux, a comparu, hier matin, devant le juge d'instruction à Tunis, non pas pour être écoutée en tant que victime de viol mais comme coupable d'atteinte la pudeur. Une accusation qui a ébranlé opinion publique, politiciens, militants de droits de l'Homme et presse internationale.
Arrivée «en grandes pompes» de la victime et de son fiancé
Arrivée masquée avec son fiancé, la victime était entrée au tribunal sous les applaudissements des citoyens venus les soutenir.
La présence massive des médias nationaux et internationaux était notoire. Sous les «feux de la rompe» malgré elle, la jeune fille au corps frêle et meurtri se cachait le visage pour fuir le martèlement des photographes.
Les manifestants, surtout les femmes, qu'elles soient voilées ou non, de tout âge et de toutes les classes sociales confondues ont scandé des slogans de soutien et d'encouragement à la jeune victime transformée en accusée.
Tous les présents à cette mobilisation ont tenu à dénoncer cette « scandaleuse affaire» qui porte atteinte aux droits de l'Homme et qui viole, notamment, la sécurité et la dignité humaine de toutes les femmes.
La non arrestation des trois policiers, les véritables coupables, demeure un grand point d'interrogation. La Tunisie s'indigne et se mobilise pour dénoncer la tournure qu'a prise l'affaire, la mauvaise gouvernance de la justice tunisienne et la réaction actuelle du gouvernement.
Mobilisation de la société civile et de la classe politique tunisienne
«Femme violée à une révolution violée», «le viol est une atteinte au Sacré», «Révolution voilée, volée puis violée», «Dans mon pays, la police me viole et la justice m'accuse» crièrent les femmes qui étaient sur place. Des slogans qui relatent la situation de crise, d'indignation et d'insécurité qu'éprouve toute femme tunisienne.
La tension était telle que les manifestants ont réclamé la démission du ministre de l'Intérieur et du ministre de la Justice.
La barrière de fer installée devant le tribunal n'a pas intimidé les protestataires et leurs cris de rage ont aboli et estompé ces barrages policiers. On se serrait les coudes brandissant en quelques mots la frustration et la colère opprimée depuis que l'affaire du viol a été rendu public et que la victime a été injustement traitée.
De victime à coupable, la fille violée par deux policiers à trois reprises, aurait selon le déroulement du procès, incité le diable qui sommeillait en ces veilleurs sur la sécurité des citoyens... «Porteuse du diable», elle a, ainsi, atteint à la pudeur !
Outre les protestataires et les médias internationaux, la société politique tunisienne était très présente à cette mobilisation de soutien.
Du côté des femmes, nous avons noté la présence de Maya Jribi, Lobna Jribi, Selma Baccar, Sondes Belhassen, Salma Mabrouk, Fatma Ben Saidane et Emna Mnif.
Quant aux figures politiques masculines qui étaient présentes, nous citerons Jalel Bouzid, Yassine Ibrahim Néjib Chebbi, Issam Chebbi, Saïd Ayadi et Iyadh Dahmani. Melek LAKDAR Témoignages :
M.B.Y (doctorante en Lettres Modernes)
«Le verdict permettra à d'autres flics de commettre d'autres exactions en toute impunité !»
«Je suis arrivée un peu en retard à la manif vers 9H40. Les gens étaient là depuis 8h30 du matin. Il y avait un monde fou ! Dans les 300 personnes. Je ne saurais le dire parce que le nombre ne cessait d'augmenter. Les gauchistes de la génération de ma mère, des jeunes hommes et femmes. La présence policière était très remarquable ! C'était des «gamins» entre 20 et 25 ans pas plus. J'avais un mauvais pressentiment et j'étais sûre que ça allait mal finir comme l'a confirmé le verdict final l'accusation. J'avais de la haine et après avoir entendu le verdict, j'avais la rage. J'ai éprouvé de la honte et un amer sentiment d'impuissance parce que ce genre de verdit permettra à d'autres flics de commettre encore plus d'exactions en toute impunité et qu'ils pourront ensuite déclarer la/les victime(s) coupable de je ne sais quelle autre accusation ! J'ai perdu confiance en notre système judiciaire !»
Karim Hafedh (ingénieur)
«C'est tout simplement scandaleux!»
«Que l'on ne nous parle plus de justice indépendante ou de pays révolutionnaire ou de droits de l'Homme ! Cette jeune fille violée aurait pu être ma sœur, ma femme ou ma mère ! Elle se fait violer à trois reprises par des policiers et ces derniers courent les rues libres ! et c'est elle qui paye pour leur frustration ou perversion ! J'ai perdu toute confiance en notre gouvernement. Au nom de quelle loi viole-t-il nos droits les plus élémentaires ? Cette fille vient d'être de nouveau violée avec ce verdit ! Notre justice doit apprendre des leçons en termes des droits de l'Homme et de justice !!»