La légitimité suprême est celle de l'ANC La Constitution sera à l'image de la société tunisienne
Dans une allocution télévisée diffusée sur la chaîne Al Wataniya 1, vendredi dernier, Mustapha Ben Jâafar, président de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), a tenu des propos qui n'ont pas manqué de passion. Il semblait hâtif, mal à l'aise, très loin de sa sérénité coutumière. Il tapait plusieurs fois sur la table avec une gestuelle qui cachait mal une certaine irritation et inquiétude. L'homme n'était pas dans son jour.
Il ne pouvait que se rendre à l'évidence pour dire qu'un sentiment de doute gagne des franges entières de la population, une remise en cause du pouvoir, administration, gouvernement, opposition, membres de la Constituante, tous dans le même pétrin...Certains citoyens souffrent de gros problèmes, d'autres de petits problèmes... « La tension est le résultat des positions dures et tranchées des différents intervenants. Certains disent que le gouvernement actuel est le meilleur dans l'histoire du pays, et d'autres répliquent que le gouvernement n'a rien fait et que le pays entre dans le mur ». Mustpha Ben Jâafar renvoie dos à dos les uns et les autres, façon de se mettre au-dessus de la mêlée. « Ni les uns, ni les autres n'ont raison », dit-il. Le président de la Constituante prévient que « cette situation peut mener à l'anarchie qui ne profite à personne ». Il rend hommage à l'armée nationale tunisienne restée républicaine et qui ne s'est jamais immiscée dans les affaires politiques. Se voulant neutre et désengagé de tous les tiraillements, Mustapha Ben Jâafar, reconnaît qu'il est nécessaire de dresser un bilan objectif de l'action du gouvernement. « Le Gouvernement n'est pas exempt d'erreurs, il faut avoir le courage de reconnaître l'erreur. Si un ministre ne remplie pas convenablement sa tâche, il peut être remplacé ». En même temps, Mustapha Ben Jâafar reproche à l'opposition de ne pas avancer de propositions. « L'opposition regorge de militants qui ont combattu la dictature et comprend en son sein des compétences non négligeables. Il n'y a pas de différences entre ceux qui sont au sein du Gouvernement et ceux qui sont dehors ». Les membres de l'opposition ont le sentiment d'être marginalisés. Sans remettre en cause les droits de la majorité, Mustapha Ben Jâafar, ne minimise pas le sentiment d'exclusion lequel représente un problème pour lequel on doit trouver une solution qui épargne pour le pays les réactions de haine et de rancune. « Pour la gestion des affaires du pays, il faut que la transparence soit la règle, et reconnaître ses erreurs relève d'un haut degré de responsabilité et de loyauté. Le dialogue est nécessaire ». Le dialogue exige le langage de la vérité tout en évitant de faire des promesses impossibles à tenir. « Le Tunisien est courageux, capable de patienter, sait ce qui est réalisable et ce qui ne l'est pas. Il n'aime pas ceux qui lui font des promesses sans pouvoir les tenir par la suite », dit-il.
Quelle est la solution ?
Le président de la Constituante, pense que la solution réside dans le consensus au sein de la classe politique avec toutes ses composantes. « Toutes ces composantes doivent se réunir autour d'une même table et débattre des questions et des solutions qui permettent de dépasser la prochaine étape qui durera 6 à 7 mois et aboutira à l'organisation d'élections démocratiques et transparentes ». C'est chose possible. Les points litigieux font l'objet de discussions profondes.
Au niveau des partis, la recherche du consensus est en cours. « La Constitution sera faite pour les prochaines générations. Elle sera précise et claire pour qu'il n'y ait pas d'équivoque. Je vous fait la promesse qu'elle sera une Constitution conforme à l'image de la société tunisienne, une société médiane, modérée, enracinée dans son identité arabo-musulmane et ouverte aux valeurs universelles », affirme-t-il. Mustapha Ben Jâafar se montre avare en révélations, fidèle à son habitude, il se garde bien de ne rien dire avant que les choses ne soient définitivement arrêtées. C'est pourquoi, il s'est contenté de généralités qui risquent de ne pas porter loin son discours. La Constitution garantira les libertés, l'égalité et la démocratie. Le régime politique fera l'objet d'un consensus, avec un équilibre entre les pouvoirs et une justice indépendante. La Cour Constitutionnelle assurera la constitutionnalité des lois tout en exerçant son rôle de contrôle des différents pouvoirs.
Parallèlement à la Constitution, les instances de régulation feront l'objet de consensus. L'instance électorale sera indépendante et dirigée par des personnalités crédibles que personne ne peut mettre en cause. L'instance de l'information ne pourra échapper aux professionnels afin que les médias servent concrètement le peuple sans chercher à servir le gouvernement ou l'opposition. La magistrature aura son Conseil indépendant. Des indications seront données pour les dates des élections. On se contentera d'indications, car seule l'instance des élections pourra fixer les dates précises.
Mustapha Ben Jâafar se dit favorable au dialogue à l'intérieur et à l'extérieur de la Constituante. Il n'a pas manqué de réitérer son soutien à l'initiative de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) tout en rappelant que le dernier mot reviendra par la suite à la Constituante. « Le pouvoir suprême est celui de l'Assemblée Nationale Constituante », a-t-il tenu à rappeler.
Concernant la question de légitimité, il a précisé que « rien ne peut supplanter la légitimité électorale. Le consensus complète la légitimité électorale pour dépasser les luttes partisanes qui ont montré leurs limites ».
Pour rassurer tout le monde Mustapha Ben Jâafar a renouvelé sa confiance dans le peuple tunisien capable de dépasser les crises. Le regain de la confiance est nécessaire.
A-t-il réussi à rassurer le Tunisien moyen qui est plutôt concentré sur ses problèmes matériels immédiats ?
Quant à la classe politique, elle aura l'occasion lors des travaux de la conférence de dialogue national initiée par l'UGTT et prévus pour mardi prochain, de montrer si cette volonté consensuelle est partagée par tous ou non.