La société civile a toutes les raisons du monde à battre le rappel de ses troupes et s'impliquer activement à l'élaboration de la loi promulguant l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) dont un projet de loi sera discuté à partir d'aujourd'hui à l'Assemblée Nationale Constituante (ANC). L'Association Tunisienne pour l'Intégrité et la Démocratie des Elections (ATIDE) qui avait abattu une somme de travail appréciable dans le contrôle des élections du 23 octobre, a présenté, hier, une analyse critique du projet de loi soumis à l'ANC. Beaucoup de faiblesses ont été relevées par ATIDE.
Moëz Bouraoui, président d'ATIDE, a rappelé que son association avait réclamé la constitutionnalisation de l'Instance des élections, une proposition qui avait gagné l'approbation de tous. En plus des remarques sur la forme concernant le projet soumis au débat en plénière, plusieurs critiques concernent le fond. La première insuffisance relevée est « l'absence de pouvoir de l'ISIE lui permettant de mettre fin aux dépassements et infractions pouvant affecter l'intégrité du processus électoral. Telles que présentées, les différentes propositions de la commission de législation générale de l'ANC ne font aucune mention explicite aux pouvoirs d'auto-saisine, d'injonction ou de sanction ». Quant à la transparence des travaux de l'ISIE, aucune disposition ne les garantit. L'indépendance de l'ISIE est en danger. «Le choix de plusieurs alternatives sur les articles les plus sensibles du texte de loi est révélateur de tiraillements politiques pouvant conduire à une Instance Supérieure Dépendante pour les Elections ». C'est le cas de l'article 6. La commission spéciale qui sélectionnera les candidatures à l'Instance serait composée par un représentant de chaque groupe parlementaire, au cas où le président de l'Instance est choisi par les trois présidents. Cette même commission serait composée par les groupes en fonction de leur poids au cas où le président de l'Instance sera élu par ses collègues au sein de l'Instance. La multiplicité des solutions et des ficelles révèle l'ampleur des tiraillements politiques qui divisent les décideurs. Par ailleurs, les deux propositions relatives aux modes de constitution du conseil de l'instance sont contraires aux principes de neutralité de l'instance en question. En plus, la commission spéciale chargée de la sélection des candidatures, n'est pas soumise à un calendrier précis. Ce qui risque de retarder la création de l'ISIE.
Par ailleurs, « le projet de loi dans son ensemble n'est pas exhaustif aussi bien en matière de processus de vote pour les membres du conseil de l'ISIE qu'en matière de détermination de la grille des critères de sélection des candidats ». Il y a un risque de blocage des travaux de création de l'ISIE.
L'ATIDE relève l'imprécision et la non détermination de la grille des critères de sélection des candidats. Enfin, le projet de loi ne mentionne pas le principe de la parité dans la composition du conseil de l'ISIE. La parité proposée dans quatre projets n'a même pas été retenue par la commission pour être par la suite débattue en séance plénière. Et dire qu'il y a sept femmes dans la commission de législation, on se demande comment une omission pareille a pu passer.
L'association ATIDE reconnait tout de même des points positifs dans le projet de loi « notamment les dispositifs relatifs à l'organe exécutif ».
Chawki Gueddas, constitutionnaliste et membre de l'Association Tunisienne du Droit Constitutionnel, mettra l'accent sur l'importance du travail de l'organe exécutif. Il reproche aux membres de l'ancienne ISIE d'avoir considéré qu'il leur revenait de réaliser les élections. Avoir 16 membres dans la direction, c'est trop. Il préfère que leur nombre soit limité à cinq sinon quatre. «Plus leur nombre sera élevé, plus il vont penser que se sont eux qui vont réaliser l'opération électorale. Celle-ci est l'affaire de l'organe exécutif. Eux, ils doivent jouer le rôle de garants d'élections transparente et de qualité », dit-il. L'universitaire reproche aux auteurs du projet de loi de ne pas avoir tiré profit de l'expérience passée. « Il fallait capitaliser sur les acquis de cette expérience et éviter ses faiblesses», déplore-t-il.
L'universitaire recommande que les différentes associations de la société civile se coalisent, créent un réseau pour leur permettre de bien peser sur les prochaines élections.
Ahmed Soueb, magistrat du Tribunal administratif qui avait examiné des litiges électoraux lors des dernières élections, a mis l'accent sur plusieurs détails de forme et de fond en rappelant que « le magistrat n'aime pas les textes qui manquent de clarté, ni le vide juridique ». Tout en reconnaissant que l'ISIE avait fait un travail très concluant, il recommande de tenir compte des insuffisances. «La question de confiance est fondamentale. Elle s'acquiert à force d'actes conjugués à la parole», dit-il. Il rappelle que le découpage électoral a une grande signification politique. « Plus la circonscription est large, plus le contrôle est difficile », dit-il, tout en prévenant que « le mode de scrutin est l'élément le plus déterminant».
Lilya Rebaï membre de l'association ATIDE rappellera que les résultats du vote doivent être affichés par bureau de vote et non seulement par circonscription.