Le Gouvernement et l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) sont, de nouveau, en conflit ouvert. La principale centrale syndicale du pays a dénoncé, dans un communiqué publié hier, une “campagne de dénigrement" dont elle s'estime la cible et accusé le gouvernement d'en être l'instigateur. “A l'heure où les travailleurs, les syndicalistes et l'ensemble du peuple tunisien célèbrent le 60ème anniversaire de l'assassinat du leader nationaliste et syndicaliste Farhat Hached et en ces temps où l'UGTT ne ménage aucun effort pour garantir une transition démocratique sans secousses en tentant de rassembler les adversaires politiques et d'arriver à un consensus national , les voix cherchent à décrédibiliser l'organisation syndicale se multiplient", a souligné l'UGTT. Et d'ajouter : “les allégations mensongères et les campagnes de dénigrement visant notre organisation vont aussi crescendo depuis l'appel de l'Union régionale du travail de Siliana à une grève générale". Dans son communiqué, la puissante centrale syndicale souligne que des responsables politiques appartenant à la coalition au pouvoir sont même allés jusqu'à oser porter atteinte à la réputation et à l'histoire de l'UGTT. “Ces campagnes de dénigrement ont visé non seulement des syndicalistes mais aussi les habitants de Siliana qui ont été taxés d'être des résidus de l'ancien régime ,de marionnettes entre les mains des partis et de mercenaires payés pour semer l'anarchie et détruire les biens publics", ajoute le communiqué.
«Double langage» Le communiqué au ton très ferme rappelle que “des campagnes de dénigrement similaires ont été par le passé menées par des gouvernements qui ont voulu domestiquer l'UGTT mais qui ont échoué à mettre à genoux cette forte organisation". Il précise aussi que l'organisation forte de plus de 500.000 adhérents est solidaire manifestants à Siliana et qu'elle soutient les revendications légitimes de cette région. L'UGTT déplore , par ailleurs, le “double langage" du gouvernement, qui “d'un côté affirme que la centrale syndicale est un partenaire et de l'autre tente de l'exclure de tout ce qui se rapporte à la gestion des affaires publiques". L'UGTT répond ainsi aux déclarations de certains membres du gouvernement et dirigeants d'Ennahdha qui ont accusé les syndicalistes de “ politiser “ les évènements de Siliana. .Le président du groupe d'Ennahdha à l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), Sahbi Atig, a, en effet, estimé jeudi que “des syndicalistes corrompus et des partis d'extrême gauche sont les véritables instigateurs des agitations sociales à Siliana". De son côté, le porte-parole du Congrès pour la République (CPR) et secrétaire d'Etat auprès du ministre des Affaires étrangères tunisien, chargé des Affaires de l'Amérique et de l'Asie, Hédi Ben Abbès, a accusé “les partis perdants des élections et les syndicalistes de chercher à semer le chaos à Siliana en vue de mettre les bâtons dans les roues du gouvernement".
Lutte d'influence ? L'actuel gouvernement et l'UGTT n'en sont pas à leur premier bras de fer. Début février 2012, les rapports se sont gravement détériorés entre le mouvement Ennahdha, qui domine le gouvernement, et la centrale syndicale. A l'époque, tout est parti de la grève des agents municipaux qui a causé une accumulation d'ordures ménagères dans toutes les villes. Ce débrayage a donné lieu à des représailles. Des ordures ont été déversées devant les locaux de l'UGTT dans plusieurs villes, dont Tunis et les locaux de l'union locale de Feriana ont été incendiés.Ennahdha a démenti être impliqué dans cette tentative d'intimidation.
Le 25 février, le Premier ministre Hamadi Jebali a accusé certains hommes d'affaires du Sahel d'avoir financé l'acheminement par bus de miliciens du RCD (le parti de Ben Ali) vers Tunis, pour soutenir les manifestations organisées par l'UGTT. La tension était, à cette époque, telle que le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, en personne a effectué une visite , le 10 mars, au siège de l'UGTT, place Mohamed-Ali à Tunis. A cette occasion, les syndicalistes lui ont remis un tableau le montrant en sit-in au siège de la centrale syndicale, au début des années 1990 afin de lui rappeler , selon les observateurs, le rôle politique de premier plan que joue la centrale syndicale.
S'il est vrai que la rencontre réconciliatrice du leader d'Ennahdha et du secrétaire général de l'UGTT, Houcine Abassi, s'était achevée par un communiqué qui évoque un « dialogue constructif » entre les deux parties, il n'en demeure pas moins qu'une guerre larvée a continué entre l'UGTT et le gouvernement. Des membres du gouvernement ou d'Ennahdha distillent souvent , depuis, des déclarations selon lesquelles l'organisation s'est transformée en une “citadelle d'opposition et de partis d'extrême gauche" qui utilisent le levier syndical pour fragiliser le gouvernement. Aux yeux des observateurs avertis, les rapports conflictuels entre le parti majoritaire au sein du gouvernement et de l'ANC relèvent d'une lutte d'influence entre les deux principales forces du pays.