Samedi 12 janvier 2013, à la veille du deuxième anniversaire de la révolution tunisienne, un lieu culte et cher dans le cœur de tous les Tunisiens, les vrais, a été réduit en cendre. Il s'agit du mausolée de Sidi Bou Saïd El Béji. Une vague de colère et d'indignation des villageois, des amoureux des lieux à travers le pays et au-delà des frontières s'est élevée. Les réseaux sociaux et autres journaux (écrits et audiovisuels) ont relayé l'information. Les réactions ne se sont pas faits attendre. Mais avant de relater ce qui s'est passé, il est capital de rappeler qui était Sidi Bou Saïd... Vie et œuvre d'El Béji Né en 1160 et décédé le 19 juin 1231. Sidi Bou Saïd de son vrai nom Khalaf Ben Yahia Tamimi El Béji (en référence à sa ville d'origine Béja), est un savant érudit. Instruit et doté d'une grande sagesse, il se dévoue à la religion. Après avoir appris le Coran, il se consacre à l'étude des sciences et entame un long voyage vers l'Orient, d'abord à Bilad el-Cham (actuelle Syrie) où il côtoiera les savants de son époque auprès de qui il parachève ses connaissances ; puis il se rend en 1207 à La Mecque où il passera trois années de sa vie. De retour en Tunisie en 1210, Khalaf Ben Yahia Tamimi El Béji opte pour une vie de retrait de la vie sociale et consacrée à la méditation. Ses lieux de prédilection sont la mosquée de Bab Bhar et le phare situé près de Carthage où il médite avec ses compagnons et où il se lie dans un total et profond respect au cheïkh Abdelaziz Mahdoui. Modèle de piété et de dévotion religieuse, il aura pour disciple Sidi Belhassen Echadly. Ce dernier choisira sa compagnie et le suivra dans le chemin de la méditation en adoptant sa doctrine. Après sa disparition, une zaouïa a été érigée en sa mémoire sur le mont El Manar et le village héritera de son nom : Sidi Bou Saïd. L'acte abject Près de huit siècles après avoir érigé l'édifice consacré à l'érudit et homme de religion, un incendie criminel a détruit le lieu du souvenir. D'après des témoins, c'est peu après la prière et une petite altercation dans la mosquée, qu'un individu a jeté un cocktail Molotov au cœur du mausolée. Le feu s'est très vite propagé, avivé par la moquette, le papier et le tissu qui enveloppent le tombeau et tapissent les murs et le parterre. Toujours d'après les témoins, l'individu a pris la fuite à bicyclette. L'information a vite circulé dans le village et alentour. L'incendie, maîtrisé peu après 20 heures, a tout dévoré de la paisible pièce où le nom d'Allah et les louanges à son Prophète Mahomet se sont élevés à travers le temps. Les réactions Le samedi, dans la nuit, une marche spontanée regroupant des dizaines de personnes s'est dirigée vers le palais présidentiel. Elle fut stoppée et une délégation fut reçue par un représentant du palais. Le lendemain, dimanche, au milieu de la matinée, une « kharja » exceptionnelle a été organisée, plus de deux cent personnes se sont rassemblées et ont suivi les percussions. Le cortège a traversé le village et aux abords de l'IHEC de Carthage, un dispositif de sécurité a érigé un barrage empêchant la progression des dizaines d'hommes, de femmes, de personnes âgées et d'enfants d'approcher le palais. Le soir, vers 19 heures, une veillée au sein du lieu du sinistre a compté la participation d'un nombre important d'autochtones et d'amoureux du village pour un hommage en bougies à El Béji. Depuis l'attaque de Sidi Bou Saïd, la colère gronde. Les gens ont accueilli par un dégage les représentants du gouvernement provisoire. M. Raouf Dakhlaoui fait endosser la responsabilité au parti Ennahdha et à son leader qui, par ses discours, excuserait le comportement des salafistes et les innombrables attaques contre les lieux de culte. M. Dakhlaoui déposera plainte auprès de la justice contre le parti et son président au nom des habitants de Sidi Bou Saïd. Actions répétés, patrimoine détruit A ce jour, quatorze mausolées à travers le pays ont été détruits ou vandalisés. Deux jours avant l'incendie ravageur de Sidi Bou Saïd, c'est un autre saint, Sidi Abdelaziz, à La Marsa qui a été incendié. Il y a quelques semaines ce fût Saïda Manoubia et avant Sidi Abdelkader et tant d'autres. Devant la multiplication de ces actes criminels, l'affaire Sidi Bou Saïd serait la goutte qui fait déborder le vase. Après chaque sinistre, le même scénario : murs calcinés, patrimoine détruit (les mausolées sont de vieilles bâtisses qui témoignent de l'architecture et de l'art ornemental datant de plusieurs siècles) et des livres saints – parfois rares – qui partent en fumée. Jonchant le sol à moitié ou totalement brûlés, les feuillets du saint Coran ne sont d'un tas de cendre ou vestiges vivants de l'ignorance flagrante des commanditaires et des exécutants. De plus en plus les mêmes questions qui reviennent : « serons-nous condamnés à regarder notre patrimoine culturel détruit en toute impunité ? A qui le tour la prochaine fois ? Si on s'attaque « aux morts » aujourd'hui quel sort réservent-ils « aux vivants » ? » Autant d'interrogations qui témoignent d'un ras-le-bol général et d'une volonté que des mesures soient prises effectivement et efficacement car pendant des siècles et sous divers régimes aucun lieu dédié au culte n'a été touché, aucun endroit où le nom d'Allah (et peu importe la langue) s'est élevé et raisonné n'a été détruit. Devrions-nous assister en ce XXIème siècle à la disparition de nos cultures, de notre identité, de notre patrimoine et de notre histoire ? Serions-nous contraints dans l'ère de la démocratie à subir les affres de l'obscurantisme et la pensée du repli sur soi et de la régression ?