L'Association des magistrats tunisiens a émis, vendredi 24 mai, de nombreuses réserves concernant le statut conféré au pouvoir judiciaire dans le projet de la nouvelle constitution dans sa troisième moulure, rendue publique le 22 avril 2013. Au cours d'une conférence de presse tenue, vendredi matin 24 mai, au palais de justice à Tunis, Mme Kalthoum Kannou, présidence de l'Association des magistrats tunisiens a dénoncé ce qu'elle a qualifié de recul dans la mise en place d'un véritable pouvoir judiciaire indépendant des autres pouvoirs législatif et exécutif conformément au principe démocratique de séparation et d'équilibre entre les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Elle a estimé qu'il y a eu dans ce projet de constitution une démolition totale du pouvoir judiciaire et une volonté de continuer à le regarder comme un métier plutôt que comme un pouvoir à part entière face aux pouvoirs législatif et exécutif. Rôle d'arbitre De son côté, Anès Hamdi, membre du bureau directeur de l'AMT, a souligné que les régimes démocratiques sont fondés sur la séparation et l'équilibre entre les trois pouvoirs afin qu'aucun pouvoir ne cherche à s'imposer. D'autant qu'un parti politique peut, en obtenant la majorité dans les élections, assurer sa domination sur les pouvoirs exécutif et législatif, et il revient alors au pouvoir judiciaire de jouer le rôle d'arbitre et de contrôleur. Or, a-t-il dit, cette base qu'il a été convenu de respecter dans la rédaction de la nouvelle constitution n'a pas été suivie, car le pouvoir judiciaire est conçu, dans le projet de constitution du 22 avril 2013 ? comme un simple appareil du pouvoir exécutif. Mme Kalthoum Kannou et Anès Hamdi ont affirmé qu'il y a eu recul dans la consécration de l'indépendance du pouvoir judiciaire dans le nouveau projet de constitution par rapport à la première et à la deuxième versions, disant avoir constaté qu'au lieu d'être prises en considération par l'Assemblée constituante, les propositions d'amélioration que l'Association était amenée à présenter, à chaque fois, au fur et à mesure de la rédaction de la constitution, étaient, au contraire,délibérément, écartées, par un curieux concours de circonstances. Ainsi, la mention « le pouvoir judiciaire est un pouvoir indépendant », dans la version du 14 janvier 2012, a été remplacée dans la troisième version du 22 avril 2013 par la mention « l'institution judiciaire est indépendante, et elle constitue un pouvoir». Par ailleurs, la présidente de l'AMT a signalé qu'il n'est fait aucune mention du parquet dans la troisième version, ce qui veut dire que le parquet n'est pas indépendant, alors que le parquet doit avoir de larges prérogatives et être indépendant envers le pouvoir exécutif, notamment du ministre de la justice. De nouveau, le Conseil supérieur de la magistrature Autre motif de réserves évoqué par la présidente de l'AMT, la troisième version consacre le rétablissement de l'ancien Conseil supérieur de la magistrature, composé de magistrats et de membres n'appartenant pas au corps de la magistrature, au moment où cette problématique a été pour les magistrats un sujet de mécontentement à l'occasion de la mise en place de l'Instance provisoire indépendante de la magistrature. Que dire quand il s'agit d'une structure permanente chargée de gérer les affaires des magistrats et de la justice en général. Sur ce plan, Mme Kalthoum Kannou, a enregistré le progrès accompli dans la voie de la mise en place de cette Instance provisoire, en attendant de se mettre d'accord sur la nature de la structure permanente qui doit la remplacer à l'avenir, mais elle a formé l'espoir de voir l'Assemblée constituante faire preuve de plus de transparence et fournir davantage d'informations sur le déroulement de la mise en place de cette Instance, concernant notamment l'élection des membres du comité chargé de superviser les élections des membres de La dite Instance. Menaces terroristes L'autre point abordé, lors de ce point de presse, a trait à la situation prévalant dans les tribunaux et les agressions et menaces de toutes sortes ciblant les magistrats. Mme Kalthoum Kannou a noté que la situation dans les tribunaux reflète la situation générale dans le pays, insistant sur la nécessité d'assurer la sécurité dans les tribunaux afin que les magistrats, les avocats et les auxiliaires de la justice puissent travailler dans des conditions ordinaires. Outre une tentative d'attaque d'un tribunal, enregistré, la semaine dernière, la présidente de l'AMT a signalé les menaces terroristes ciblant le palais de justice de Tunis, proférées, jeudi 23 mai par des éléments inconnus. Des menaces ont concerné, aussi, le juge d'instruction en charge des dossiers des suspects parmi les salafistes, impliqués dans les évènements de dimanche dernier, à Kairouan et à la cité Ettadhamoun, à Tunis, à la suite de l'interdiction de la tenue du congrès des salafistes de l'organisation « Ansar Echariâa ». S'agissant des menaces contre le palais de justice de Tunis, les services de sécurité intérieure ont recueilli des informations avérées relatives à l'intention d'un groupe terroriste de faire exploser le palais de justice de Tunis. Des mesures de sécurité ont été prises, en conséquence. Mais, les juges dans les divers tribunaux reçoivent régulièrement des menaces de toutes sortes, en vue de faire pression sur eux, soit pour libérer, soit pour condamner tel ou tel prévenu. Un juge à Sfax a reçu des menaces pour être plus sévère dans ses jugements. Mme Kannou a assuré que les magistrats, les avocats et tous les auxiliaires de la justice n'ont pas peur de ces menaces et sont déterminés à continuer d'accomplir leur devoir, quelles que soient les circonstances.