Ce petit pays de la péninsule Arabique ne fait pas couler que de l'argent, mais de l'encre également — malgré lui. Victime de la mégalomanie de son émir, le désert d'Al-Jazira ne peut plus garder son masque de béton en place, dévoilé qu'il est en Tunisie comme en France. Nicolas Beau (co-auteur du pamphlet anti-Leïla Ben Ali, La Régente de Carthageú) consacre son nouveau livre aux secrets du sérail du cheikh Hamad. Nous l'avons rencontré à son domicile parisien, avant son envol pour la Tunisie, où il signera ce nouvel ouvrage dans les librairies du Grand Tunis. Des articles, des livres, des reportages télévisés. Le Qatar est sur toutes les langues, à tous les débats, partout où son argent est le bienvenu ou ne l'est pas. Fascinant pour les uns, abhorré par les autres — jusqu'à la répugnance. Opulence, immoralité et hypocrisie semblent être les grandes lignes de la politique internationale de cet Emirat. Une monarchie qui voudrait déjà étendre son empire à partir d'un territoire à peine possédé, après des siècles d'errance. Pas d'autre logique que celle de l'argent, et puis le paradis d'Allah commence sur terre. En France ou en Tunisie, pour ne citer que ces deux pays en exemple des champs d'investissement financier, politique et idéologique de ce petit Emirat de sable et de béton, d'acier et d'artificiel. Car l'argent n'est qu'un moyen comme les autres, plus fort que les autres. C'est ce que Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget, co-auteurs du Vilain petit Qatar, cet ami qui nous veut du mal, s'évertuent à montrer au travers de leur enquête. « La population des Qataris ‘‘de souche'', soit les familles installées dans le pays depuis 1930, se monte à environ 150 000 âmes. Le chiffre exact est un secret d'Etat », écrivent les auteurs (p. 34), s'aventurant sur les sables mouvants d'un pays nain qui engloutit ses vérités. C'est une famille qui joue à l'Etat, née il y a quelques décennies, suffisamment longtemps pour mettre le monde entier à ses pieds. « C'est un pays qui n'en est pas un, rien d'autre qu'une tribu », nous dit Nicolas Beau. Avec son co-auteur Jacques-Marie Bourget, le journaliste relate la genèse de ce petit Emirat dans l'un des plusieurs livres parus, en même temps, au sujet du plus vilain des Emirats. À l'origine, un coup de chance, quand les tribus nomades, au gré de leur recherche des points d'eau, ont été au rendez-vous de la géographie et de la géologie. Quelque part, sous leur trône de sable, une immense bulle de gaz. « Leur chance, c'est d'être assis sur une réserve de ressources naturelles », poursuit Nicolas Beau, « ce qui leur a permis de s'affranchir de leurs voisins géants, l'Iran et l'Arabie Saoudite. C'est ce qui leur donne le soutien des Etats-Unis, tant qu'ils ont le pétrole… » précise-t-il. Sous la tutelle de l'Oncle Sam, l'Emirat — que les auteurs qualifient d'« impérialiste », vu le jeu de séduction financier qui le lie au pays du sud en crise et l'en fait profiter — pratique ce que N. Beau appelle le « soft power », en nous expliquant : « Il prétend étendre son influence de Dakar à Kaboul, alors que les structures de ces pays sont faibles, leurs chaouchs sont des pays sans force aucune. » Capitalisme, football et wahhabisme Le Qatar préparerait donc l'après-pétrole, à coups d'investissement à travers le monde. Les auteurs du Vilain petit Qatar, qui s'intéressent au cas de la France — ce grand ami du Qatar, stratégique —, cherchent à tracer la stratégie de survie de ce que l'on serait tenté de qualifier de « mafia familiale ». Capitalisme, immobilier, football et enfin islam, tout y passe. Avec les caméras d'Al-Jazira à l'épaule, le Qatar tire vers lui ce qui sera appelé le « Printemps arabe ». À droite des Etats-Unis, jusqu'à ce que ces derniers se détournent enfin de cette région du monde, selon N. Beau, après la chute espérée de ses dictateurs pseudo-laïcs. « Le but est de demander à Allah de gouverner le monde. Une solution qui plaît à la si religieuse Amérique qui, au fil de l'histoire, a toujours combattu les gouvernements arabes laïcs, Nasser étant l'antéchrist », avancent les auteurs de l'enquête (p. 88). Aujourd'hui, dans cette guerre qui ensanglante la Syrie depuis plus de deux ans, le Qatar soutiendrait l'aile d'insurrection salafiste, « la plus puissante contre Bachar, ce qui empêche les Etats-Unis d'intervenir », analyse Nicolas Beau. C'est un jeu trouble et malsain auquel s'adonne le Qatar, ce nouveau pays dont on ne sait rien : « On saisit 5 à 10 % des réalités financières de cet Emirat », spécule notre journaliste. Des chiffres d'autant plus déroutants que le Qatar s'implante partout, ce qui a amené N. Beau et J.-M. Bourget à s'interroger, au moment où transparaissait l'engouement médiatique français pour « le Qatar qui achet[ait] la France » : « Qui sont-ils ? que sont leurs arrière-pensées ? leur réalité, leurs alliances… ? » La triste et dangereuse réalité, finalement, serait celle d'« un pays caractérisé par une schizophrénie totale, qui prodigue des leçons de démocratie aux autres pays alors qu'il ne s'en préoccupe pas pour son propre compte. Surtout, il soutient un islamisme wahhabite, sa colonne vertébrale », dénonce N. Beau. Profitant des pays en situation de crise, le Qatar — au-delà des stades de football et des hippodromes —, gagnerait les banlieues parisiennes, les poches et le cœur des jeunes communautés musulmanes, pétries de rejet et d'injustice. Alors même que Nicolas Sarkozy adulait le Qatar, François Hollande avait réussi à rétablir un rééquilibrage, selon N. Beau, avant de comprendre que le Qatar était un ami privilégié pour son pays en crise. Le voilà donc qui part à Doha… avant la Tunisie. La Tunisie où, selon Nicolas Beau — qui connaît bien ce pays —, « R. Ghannouchi, opportuniste qu'il est comme l'émir du Qatar, est obligé d'un double-jeu. Il est dangereux en ce qu'il distribue l'argent de l'Emirat impérialiste à tort et à travers ». En ce qui concerne le futur, N. Beau voit dans les rouages d'un parti de Dieu aux ambitions claires et nettes : « Ennahdha aura encore besoin du Qatar, de son argent pour les élections à venir, de sa force diplomatique, de la caution des Etats-Unis vis-à-vis de l'Algérie… » La duplicité de ce parti-nouvel-Etat risque de se poursuivre, de surcroît, et de se renforcer, vu la reconfiguration du règne qatari : « Derrière le prince Tamim, qui succédera bientôt au cheikh Hamad, se trouve le ministre de l'Intérieur, l'homme fort d'aujourd'hui. Un homme dont les mains sont moins dans le cambouis financier, mais plus dans le cambouis salafiste… Il est l'appui aux groupes djihadistes dans le monde. » Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget tirent la sonnette d'alarme pour ce pays où, sur la couverture de leur livre, le drapeau du Qatar est hissé au-dessus de la Tour Eiffel. Tout est dans le symbole. À Tunis, le drapeau noir du salafisme a flotté et risque de flotter encore au-dessus de l'horloge de l'ex-place du 7 novembre. Sur les vestiges renaissants de la dictature. Khalil KHALSI
* Nicolas Beau et Jacques-Marie Bourget, Le Vilain petit Qatar, cet ami qui nous veut du mal, éd. Fayard, Paris, 2013, 296 p.
Nicolas Beau signera son livre aux dates et librairies suivantes : • Le dimanche 23 juin à la librairie Clairefontaine, La Marsa, à 17h. • Le lundi 24 juin à la librairie Clairefontaine, El Menzah 6, à 17h. • Le mardi 25 juin à la librairie Millefeuilles, La Marsa, à 18h. • Le mercredi 26 juin à la librairie El Moëz, El Menzah 1, à 17h30.