Sur scène en cette fin d'année, les deux ténors du rire ne font pas dans la dentelle... Ils drainent des foules pas possibles et font pâlir d'envie les tenants du théâtre classique. Désormais, ce sont les rois de l'estrade, les chouchous du public, ceux qui ont mis les rieurs de leur côté. Show après show, Lamine Nahdi et Lotfi Abdelli se sont affirmés comme les maîtres d'un genre scénique qui, il n'y a pas si longtemps, était vu avec suspicion. Voué aux gémonies, le one man show était la risée de l'establishment théâtral mais marquait des points car il avait bel et bien les faveurs du public. Une avalanche de gags Aujourd'hui après la révolution, le décor a bien changé. La censure ayant volé en éclats, ces spectacles de rires et chansons n'hésitent plus à s'attaquer de front aux puissants et ont ouvert un nouveau cycle où la parodie est devenue la règle. Avec des termes choisis, les comédiens libérés rient de tout : les haut fonctionnaires, les péchés mignons des Tunisiens, la vie de couple telle qu'elle est, l'exode rural et même les tartufferies dont les salafistes et autres bigots sont experts. Résultat : pour leurs spectacles, la foule est toujours au rendez-vous du Colisée ou du Théâtre municipal alors que leurs œuvres iconoclastes et impitoyables font grincer des dents les puissants. Lamine Nahdi peut être considéré comme le fondateur de ce genre aux frontières du théâtre. Dès le début des années 80, il innovait avec « El Forja », un duo avec Mongi El Ouni qui avait fait le plein dans toute la Tunisie, y compris au festival de Carthage. Avec « El Forja », Lamine Nahdi avait dépouillé ses performances de leur carcan théâtral pour rire dans le vif. Deux acteurs étaient sur scène et tenaient le public en haleine avec une avalanche de gags. Et, comme le sous-entendu était la règle, à chacun de reconnaître qui était visé et se lancer, par connivence, dans des applaudissements à tout rompre. A la suite de Lamine Nahdi, ils ont été nombreux à s'essayer à ce genre de performances avec succès. De Raouf Ben Yaghlane à Sofiene Chaari en passant par Jaafar Gasmi, ils ont convaincu le public et ouvert la voie à une petite révolution dans le monde du théâtre. En effet, les one man shows drainaient désormais une audience bien plus importante que le théâtre classique et subventionné. Nahdi ne s'est pas arrêté en si bon chemin. En compagnie de Moncef Dhouib, il créera plusieurs œuvres qui feront date. Son répertoire est plein de véritables « tubes » comme « Mekki et Zakia » ou encore « El Sardouk », à propos du même coq qu'on s'évertue à déplumer. Une brèche était ainsi ouverte dans le spectacle vivant et bien des artistes allaient s'y engouffrer. Avec Nassreddine Ben Mokhtar ou AfifLakani, c'était toujours la même génération de comédiens comiques nés durant les années 70 qui était en haut de l'affiche. Generation « made in Tunisia » Mais les choses allaient peu à peu changer avec la montée de Lotfi Abdelli, icône de la nouvelle génération et tenant d'un humour caustique et décalé qui fait hurler de rire et rugir de plaisir les foules. Avec ses spectacles « Made in Tunisia », Abdelli a donné une nouvelle ampleur à ce genre. Tout comme Nahdi, il s'est inspiré des ténors de la scène comique française qui ont abandonné leur approche plutôt théâtrale pour des spectacles de stand-up où ils parviennent parfois à remplir des stades à l'instar de Muriel Robin, Gad el Maleh ou Jean-Marie Bigard. C'est Abdelli qui a le premier compris qu'il fallait s'inspirer de cette expérience française. Avec un concept simple mais attrayant, une bonne stratégie de communication et une présence scénique qui allait de soi, Abdelli allait révolutionner le genre et ouvrir la voie à une nouvelle génération d'humoristes qui, aujourd'hui, investissent toutes les scènes. Du coup, cette fin d'année 2014 est ainsi celle des humoristes avec de nombreux spectacles qui font le bonheur du public. Encore une fois, Lamine Nahdi et Lotfi Abdelli font figure de leaders dans un paysage perpétuellement en mouvement.