Le regard déterminé et le geste vif, Dalila, 42 ans, exerce l'un des métiers les plus pénibles et les plus vieux au monde. Pour nourrir son fils de deux ans ainsi que son frère et sa soeur qui sont à sa charge depuis le décès de leurs parents en 2002, cette mère célibataire sans diplôme n'a eu d'autre choix que de devenir « berbécha ». Ce mot tiré du dialecte tunisien et qui signifie littéralement « celle qui fouille », est l'équivalent féminin de chiffonnier. Ce métier, version moderne de « roubavikia » (robba vecchia), consiste à faire du porte à porte pour collecter différents matériaux recyclables et objets usagés. Ayant connu son apogée à la fin du 19ème siècle, cette libre collecte a totalement disparu dès les années soixante dans certains pays, notamment en France. En Tunisie, ils sont actuellement près de 8000 hommes et femmes à exercer le métier de chiffonnier et contribuent à hauteur de 60% dans la collecte de déchets recyclables. Informel et longtemps marginalisé, ce secteur est pourtant doté d'un fort potentiel économique. Mais heureusement pour les berbéchas, les choses sont en train de bouger et dans le bon sens ! Dalila: parcours d'une barbécha Depuis des années, Dalila sillonne les rues de Hay Etadhamen et fouille les poubelles en quête de bouteilles en plastique, de canettes, de déchets en aluminium, de pièces mécaniques... Son vieux sac usé sur le dos, elle collecte hardiment ici et là tout type de matériaux recyclables et les revend par la suite. Au début, elle s'adressait à une dame de son quartier qui lui rachetait sa collecte hebdomadaire pour une poignée de dinars. Bien que la soupçonnant de fraude lors de la pesée, Dalila ferme les yeux et n'ose pas le lui dire car elle a besoin de chaque centime qu'elle reçoit pour faire vivre sa petite tribu. Elle déclare: « J'exerce ce métier depuis de longues années. Certes, ce n'est pas agréable de fouiller dans les poubelles mais je préfère qu'on me surnomme berbécha plutôt que mendiante. Le regard des autres est parfois impitoyable mais il m'importe peu du moment que je gagne mon pain à la sueur de mon front. Beaucoup pensent que ce métier est facile. Au contraire ! Outre la saleté et les odeurs fétides, nous sommes continuellement exposés au danger. On n'est jamais à l'abri d'une blessure causée par du verre cassé, une barre de fer rouillée, une lame tranchante... Chaque jour, je marche de longues heures à pied pour collecter entre deux et trois kilos de déchets et je revends le tout en fin de semaine. Les prix varient selon la nature des matériaux. Le kilo de plastique est revendu à 500 millimes, celui de canettes et boites de conserve à 1,5 DT, celui de pièces mécaniques et électroniques à 150 millimes. Le gros sachet de pain est revendu entre 6 et 7 dinars. » Espoir d'un avenir meilleur Sans statut professionnel, sans couverture sociale, sans source de revenus fixe, Dalila vivotait dans une perpétuelle angoisse et redoutait les aléas que pouvait lui réserver un avenir incertain. Mais heureusement pour elle, le vent semble lui être désormais favorable et plus précisément depuis qu'elle a adhéré à l'Association des berbéchas d'Ettadhamen-Mnihla, présidée par Ahmed Fakraoui collecteur de bouteilles en plastique depuis plus de 14 ans. Contactée par Hsan, le trésorier de l'association, Dalila a appris qu'elle pouvait bénéficier, gratuitement, d'un appui matériel et didactique. Depuis, elle et près de soixante-dix autres barbéchas des zones de Hay Ettadhamen, d'El Mnihla et des Jardins d'El Menzah ont assisté à trois jours de formation accélérée, sur des thèmes variés tels que le code du travail, le financement des petites activités, les micro-crédits, le payement des impôts, l'affiliation à la CNSS, la couverture sociale... Tous ont également reçu une tenue de sécurité, consistant en une tenue de travail, des chaussures adaptées, une casquette et des gants. Aujourd'hui, Dalila porte en elle l'espoir secret d'un avenir meilleur pour tous les barbéchas de Tunisie. Elle nous confie: « Depuis que je porte ma tenue bleue et le badge de l'association, je me sens fière d'exercer ce métier. Dimanche dernier, j'ai reçu l'un des plus beaux cadeaux de ma vie. Voyant à quel point je souffrais pour transporter le lourd sac rempli de bouteilles et de matériaux, Hsan m'a offert une brouette. Je suis si heureuse car je pourrais ainsi collecter une plus grande quantité et gagner un peu plus d'argent. » Projets à profusion Hsan Bouallag est berbèch de père en fils. Grâce à ses économies et sa parfaite connaissance des rouages et des ficelles du métier, il est devenu collecteur en peu de temps. C'est lui qui rachète désormais les déchets recyclables des barbéchas de Hay Ettadhamen et ses alentours. Après le tri, il les revend aux usines concernées et avoue en tirer un bon bénéfice. « Je vis bien et ma situation est aisée. J'ai pu me marier et fonder une famille grâce à mon travail.», déclare-t-il. Il occupe aujourd'hui le poste de trésorier au sein de l'Association des berbéchas d'Ettadhamen-Mnihla. Parmi les projets en cours, Hsan explique que l'association travaille sur un éventuel partenariat avec des institutions proposant des micro-crédits pour que les barbéchas puissent, dans un avenir proche, s'acheter des tricycles qui faciliteront l'exécution de leur travail. Autre objectif, offrir gratuitement une vaccination antitétanique à tous les adhérents de l'association pour éviter toute complication en cas de blessure ou de contact avec des objets rouillés et qui peut mener jusqu'à une amputation. En parallèle, des campagnes de sensibilisation, placées sous le thème « Trier, c'est aider », sont régulièrement organisées. Lors de ces journées d'informations, les barbéchas font du porte à porte pour expliquer aux citoyens la nature de leur travail et son impact écologique. Des résultats très satisfaisants ont été enregistrés suite à une première journée de sensibilisation, organisée il y a deux semaines, au quartier 2 mars à Ettadhamen. Les citoyens ont majoritairement fait preuve d'un grand intérêt et se sont engagés à trier désormais les déchets dans des sacs différents et les réserver dans un coin en attendant le passage des barbéchas chaque dimanche. Fructueux partenariats L'Association des berbéchas d'Ettadhamen-Mnihla ainsi que celle de la Marsa ont été créées dans le cadre du projet pilote « Intégration Structurelle du Secteur Informel dans la Gestion Communale des Déchets en Tunisie». Décliné sur ces deux communes, il a été initié grâce à une fructueuse collaboration entre les deux municipalités l'ANGED, le gouvernement allemand à travers la coopération technique allemande(GIZ) et le réseau régional d'échange d'informations et d'expertise sur les déchets solides dans les pays du Maghreb et du Mashreq (SWEEP- Net). Quatre quartiers sont actuellement concernés par ce projet, en attendant sa généralisation dans d'autres zones et communes.