Au cœur de la plupart des villes du Maghreb, les vieux quartiers croulant d'histoire et de vétusté ne sont plus habités que par des populations souvent marginalisées qui y trouvent des loyers abordables et la proximité de certains emplois. Malgré les apparences dues au décor et au maintien d'artisanats tournés vers le tourisme, la vie de quartier n'y est pas plus , ni moins traditionnelle que dans les banlieues populaires. C'est à partir de ce constat commun à toutes villes maghrébines que s'est formée une réflexion nouvelle sur le bâti ancien dans le Maghreb et qui trouve son illustration dans l'atelier maghrébin qui se tient depuis hier à Tunis sur la réhabilitation, la sauvegarde et la restructuration des anciens quartiers. C'est l'opportunité pour chaque pays de présenter les expériences qu'il a menées et mène sur ce registre et esquisser les approches qui sont les siennes pour redonner vie à ces espaces sans en altérer l'essence et les caractéristiques fondatrices. Il faut dire que les anciens quartiers des villes magrébines cultivent des similitudes, par endroits, saisissantes , qui sont en train d'appeler des réponses voisines ou l'Etat est l'acteur sinon exclusif, du moins principal. Les experts présents ont été unanimes pour relever que les centres anciens se sont paupérisés au cours d'un processus entamé à peu près dès le 19ème siècle, au motif que la qualité de vie n'y était plus suffisante pour les populations les plus aisées qui ont commencé de s'installer dans des quartiers moins denses, mieux accessibles, aérés et ensoleillés. La question qui se pose avec insistance est de savoir si la ville ancienne( tous quartiers confondus ), reçue en héritage mais souvent inhabitable, doit être transmise par notre génération comme un bien sacré de l'histoire ou comme un lieu d'usage qu'on aura profondément transformé. Le cas de la médina de Tunis La Médina de Tunis est, incontestablement, un cas typique de ce qui peut arriver à une cité maghrébine à travers les décennies , surtout après l'indépendance. Depuis les années trente, jusqu'à là abritant une population citadine, elle s'ouvre à des migrations extra-urbaines. Des populations rurales s'installèrent dans les fondouks, les oukalas et les cimetières, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la muraille. Cet exode s'est intensifié au lendemain de l'Indépendance. Des familles rurales à la recherche d'emplois sont venues s'installer dans les maisons traditionnelles abandonnées par leurs occupants d'origine. Les demeures ancestrales furent ainsi délaissées par leurs propriétaires au profit des appartements de la ville européenne . Ces maisons louées à la pièce furent appelées « oukalas », donnant lieu à un phénomène nommé « oukalisation » qui a touché non seulement les demeures traditionnelles, mais tous genres de bâtiments destinés ou non à l'habitation : palais, demeures, medersas, édifices religieux. Les « oukalas » présentaient des problèmes d'insalubrité, de promiscuité, de délinquance et d'entassement de la population dans des conditions inhumaines, et constituaient par conséquent un phénomène socialement très inquiétant et très lourd. Le projet Hafsia, est cité à cet égard par les autorités comme un projet pilote en termes de réhabilitation des vieux quartiers, en ce sens qu'il a réussi à inverser le processus de dégradation engagé depuis le début du XXème siècle et à améliorer l'infrastructure du quartier tout en renforçant le tissu urbain traditionnel de la Médina. Dès lors , il n'a pas été fortuit que le projet fût primé à deux reprises par le prix Aga Khan d'architecture. Le fait est que ce mécanisme a largement contribué à revitaliser les activités commerciales du quartier, remplacé ou réhabilité plusieurs de ses habitations en ruines et favorisé les échanges entre habitants de milieux sociaux différents. Surtout, il a eu le mérite d'initier la nouvelle composante de la « réhabilitation » et a permis de tester la faisabilité de cette opération et les limites des mécanismes d'interventions existants (juridiques, techniques, financiers...) et de prouver la nécessité de les développer pour en faire une stratégie adéquate concernant spécialement l'habitat ancien. Enfin , et selon ses initiateurs, il a permis d'attirer l'attention sur les effets pervers de la législation sur les rapports bailleurs-locataires, les syndics, les copropriétés. Une nouvelle loi a été promulguée, permettant de dépasser ces difficultés et de convaincre les décideurs de poursuivre cette politique de réhabilitation avec la mise en œuvre d'un nouveau projet concernant les immeubles surpeuplés, «les Oukalas», dans la Médina de Tunis, avec l'appui du FADES (Fonds Arabe de Développement Economique et Social). L'approche algérienne Tel qu'il ressort des multiples évolutions qui l'ont marqué depuis l'Indépendance , le bâti ancien en Algérie, dicte une élaboration plus précise et plus rigoureuse de textes de lois relatives à la réhabilitation; la restructuration de l'organisation de la gestion du secteur, la recherche de moyens pour éliminer au plus vite les dysfonctionnements enregistrés. Depuis l'indépendance, nombreux étaient les bâtiments anciens dont le sort n'intéressait qu'une minorité d'érudits sans tribune, certains bâtiments ont disparu sous leurs propres décombres ou sous de nouvelles réalisations d'immeubles. Car il faut rappeler que ces biens patrimoniaux disparus, ou réduits à l'état de ruines après l'indépendance, ne sont pas le résultat de l'incurie, ou encore de l'absence de moyens humains ou matériels (notamment ceux de l'état), mais bien la conséquence d'une vision exagérément tournée vers le futur, trop imprégnée de préjugés à l'égard de « l'ancien » d'une façon générale. Il en fut pratiquement ainsi jusqu'à la promulgation , au cours des années 90 des textes de loi se rapportant au bâti et à ceux relatifs à la protection du patrimoine culturel, dont les éléments: nouveaux sont , d'un côté, la réhabilitation des ensembles bâtis qui est subordonnée à l'étendue de la notion de patrimoine pour laquelle désormais il sera question d'établir le " Plan de mise en valeur " et la volonté de l'Etat à promouvoir l'intervention sur le bâti ancien, d'où la reconnaissance explicite de la propriété privée et la création d'un fonds d'aide de ce patrimoine bâti.