L'Académie Tunisienne des Sciences, des lettres et des Arts (Beit al-Hikma) organise les 11, 12 et 13 février un colloque international intitulé : « Le roman français et d'expression française contemporain : nouvelles formes, nouveaux rapports à l'histoire » Dominique Viart est l'un des participants étrangers à ce colloque. C'est lui qui a donné la conférence d'ouverture qui traitait de la « Littérature française contemporaine et enquêtes historiques : des terrains de convergence » Dominique Viart est professeur de littérature française contemporaine, membre de l'Equipe « Pierre Michon » de l'ITEM – CNRS, depuis sa création (2008), co-fondateur (2003) et Président (2003-2012) de l'Association des Lecteurs de Claude Simon, co-fondateur (1997) et vice-président (2007-2013) de la Société́ d'Etudes de la littérature française du XXe siècle et membre (depuis 1987) puis membre associé (depuis 2013) du Centre de Recherche sur le Roman du XXe siècle. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont les plus récents sont : « Anthologie de la littérature contemporaine française. Romans et récits depuis 1980 » (2013), « Le Roman français au XXe siècle » (2011), « François Bon, étude de l'œuvre » (2008), « La littérature française au présent : héritage et mutations de la modernité », co-écrite avec Bruno Vercier (2005), réédition augmentée en 2008. Nous avons abordé M. Viart qui nous a accordé l'entretien suivant : Le Temps : Pourriez-vous nous résumer en quelques phrases la conférence que vous venez de donner ? Dominique Viart : J'ai voulu montrer que la littérature française s'est ressaisie du monde depuis une trentaine d'années. Elle ne s'occupe plus d'élaborations formelles, mais elle s'intéresse surtout à l'homme, elle parle de la société, de l'histoire, du monde réel. Sa spécificité est qu'elle ne le fait pas comme faisait la littérature des siècles antérieurs. Elle le fait en travaillant sa forme, en interrogeant sa forme. L'intérêt pour elle, c'est de trouver des formes nouvelles qui permettent d'aborder les sujets en faisant apparaître des choses qui n'ont jamais été dites de cette manière-là. Dans votre conférence, vous avez préféré l'expression « littérature historienne » à l'expression « littérature historique ». Pourquoi ? Parce que la « littérature historique » avait l'habitude d'installer des personnages de fiction dans une histoire dont on connaissait les éléments et qui était racontée de manière chronologique. La « littérature historienne », au contraire, elle procède par enquête, elle interroge l'histoire, ce qui la distingue, c'est le processus de l'enquête : la recherche, la découverte d'archives, les interrogations. C'est une « littérature historienne » parce qu'elle fait le travail d'un historien. Selon vous, y a-t-il une ou plusieurs littératures françaises actuellement ? Il y a plusieurs littératures françaises aujourd'hui. Dans un livre que j'ai publié il y a quelques années, j'ai expliqué qu'il y a trois régimes de littérature en France, en même temps. D'abord, la littérature académique, traditionnelle qu'on continue d'écrire et que je comparerai à l'artisanat. Ensuite, il y a une littérature qui est plus médiatique qui cherche un peu à jouer sur les sujets à la mode, parfois qui fait un peu scandale, qui est plutôt la littérature commerciale. Enfin, il y a la littérature qui me semble beaucoup plus importante et profonde qui est d'une dimension plus critique que j'appelle une littérature déconcertante, parce qu'elle surprend le lecteur, elle le bouscule dans ses habitudes. Cette littérature-là est celle qui caractérise véritablement notre temps et qui restera pour les années à venir. Quelle relation y a-t-il entre littérature et histoire ? Y a-t-il des terrains de convergences entre les deux ? Pendant longtemps, l'histoire et la littérature étaient reliées, Michelet était historien et romancier à la fois. A la fin du 19è siècle, ces deux disciplines se sont séparées parce que les historiens se sont inscrits dans les sciences sociales et ont voulu faire des œuvres scientifiques. Et puis, depuis quelques années, fin des années 70, les historiens se rendent compte qu'ils ont des procédures d'écriture, de mise en récit, qui sont des procédures littéraires, et de leur côté, les écrivains se sont intéressés à de nouvelles formes d'historiographie, comme la micro-histoire ou l'histoire-monde et cela nourrit leurs œuvres littéraires. Donc, les écrivains et les historiens se rapprochent les uns des autres, tout en restant, chacun, dans son propre univers de référence. Avez-vous une idée sur la littérature tunisienne d'expression française ? Franchement, je la connais trop mal pour pouvoir avoir une opinion sur l'ensemble de cette littérature. Je la lis un peu, mais je connais un peu plus la littérature libanaise parce que je vais assez souvent au Liban et je me suis rendu compte que c'est extrêmement intéressant parce que c'est une littérature mixte qui est à la fois très nourrie par les questions qui traversent la littérature française et je pense que les Tunisiens et les Libanais sont très proches des Français, mais chaque littérature a toujours ces caractéristiques propres à une culture fondamentale, d'où une certaine richesse puisqu'il peut y avoir à la fois une littérature épique et une autre problématique dans le même texte, ce qui la rend une littérature extrêmement riche.