Le gouvernement préconise désormais trois axes de réforme : le relèvement de l'âge du départ à la retraite à 65ans, l'augmentation des cotisations et la réduction des pensions de retraite L'UGTT qualifie le projet de réforme du mouvement de «déclaration de guerre» et menace de recourir à la rue pour bloquer son adoption Le gouvernement vient d'opérer un virage majeur en ce qui concerne l'épineux chantier de la réforme des régimes de sécurité sociale. Le nouveau ministre des Affaires sociales, Mahmoud Ben Romdhane, a en effet renoncé aux accords conclus dans ce cadre par son prédécesseur Ahmed Ammar Youmbaî, avec l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT). Lors de son audition, mercredi, par la commission de l'organisation de l'administration des affaires des forces armées au sein de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), M. Ben Romdhane a, en effet, remis sur table la première mouture du projet de loi amendant et complétant la loi n°12 de 1985 en date du 5 mars 1985 sur le régime des pensions civiles et militaires de retraite et des survivants dans le secteur public spécifie les catégories qui prévoit le relèvement optionnel de l'âge légal du départ à la retraite à 65 ans au lieu de 60 ans actuellement. La mouture de ce projet de loi parvenue à l'ARP en novembre 2015 donnait aux fonctionnaires le choix d'opter pour le relèvement de l'âge du départ à la retraite à 62 ans ou à 65 ans, conformément à un accord conclu entre le ministère des Affaires sociales, qui était alors dirigée par Ahmed Ammar Youmbaî, et la puissante centrale syndicale. Mais ce n'est pas tout. Le nouveau ministre des Affaires sociales a estimé que le relèvement optionnel de l'âge légal du départ à la retraite ne suffira pas à résorber le déficit des caisses sociales qui a dépassé les 900 millions de dinars. Il propose désormais deux autres mesures complémentaires, en l'occurrence la révision à la hausse des cotisations des salariés sociaux actifs et des employeurs ainsi que la réduction du montant des pensions de retraite. Pensions de retraite «généreuses» ? Selon des sources gouvernementales, la révision à la hausse des cotisations des assurés sociaux actifs et des employeurs s'effectuerait par étape afin d'en diminuer l'impact sur le pouvoir d'achat des salariés et les équilibres financiers des entreprises. S'agissant de la réduction des pensions de retraite qui sont jugées «généreuses» par M. Ben Romdhane, le gouvernement propose l'unification du mode de calcul du salaire de référence, du taux de la pension et du rendement des années de cotisation au niveau des deux principales caisses de sécurité sociale: la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) qui couvre les fonctionnaires et la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS), dédiée aux salariés du secteur privé. Le salaire de référence est actuellement défini comme étant la moyenne des salaires des dix dernières années de travail, avec un plafond équivalent à six fois le SMIG pour les affiliés à la CNSS. Au niveau de la CNRPS, le salaire de référence est aujourd'hui calculé sur la base de la moyenne des deux dernières années de travail objet de retenues avant le départ à la retraite. Sur ce point, l'intérêt se porte sur l'adoption par les deux caisses de la moyenne des salaires des dix dernières années de travail. D'autre part, le taux de la pension de retraite qui diffère en fonction du nombre des années de cotisation peut actuellement atteindre 90% pour les salariés du secteur public dans le cas de 40 ans de cotisation et 80% pour les travailleurs du secteur privé (régime des salariés non agricoles ayant 35 ans de cotisation). Le taux de la pension au niveau des deux caisses pourrait être abaissé à un seuil maximal de 75% dans les deux secteurs. Bras de fer en vue L'UGTT n'a pas tardé à réagir à ce projet. Dans un communiqué publié jeudi, l'organisation a qualifié les différents axes de réforme des régimes de sécurité sociale proposés par le gouvernement de «déclaration de guerre» et menacé de recourir à la rue pour bloquer son adoption. «Le gouvernement doit assumer les retombées de l'adoption de ce projet de réforme qui représente une déclaration de guerre contre l'UGTT et les assurés sociaux », a précisé la centrale syndicale. Et d'ajouter : «Nous annonçons notre prédisposition à appeler les adhérents à descendre dans la rue» pour bloquer l'adoption du projet». A noter que l'UGTT a soumis, l'an dernier, un projet de réforme visant à réduire le déficit des caisses sociales. Ce projet comporte des mesures qui s'articulent autour de la diversification des sources de financement des régimes de sécurité sociale à travers l'instauration de nouvelles taxes sur certains produits non essentiels comme le tabac et les boissons alcooliques, le recours limité et contrôlé au marché financier, la contribution de l'Etat... L'organisation syndicale recommande, d'autre part, de créer une nouvelle caisse à part qui sera chargée de l'indemnisation des salariés ayant perdu leurs emplois, de lutter contre la diffusion à large échelle du travail au noir dans le secteur privé et de durcir les procédures de recouvrement des créances des caisses sociales auprès des entreprises. Le trou de plus en plus béant de la «Sécu» trouve essentiellement son origine dans les mutations démographiques et socio-économiques qu'a connues la Tunisie au cours des dernières décennies : vieillissement de la population, baisse de la fécondité, précarité de l'emploi, amélioration de l'espérance de vie, taux de chômage élevé, multiplication des plans sociaux... etc. Le ratio moyen actifs/retraités pour les deux caisses sociales (nombre de salariés en exercice qui paient grâce à leurs cotisations les pensions de salariés partis à la retraite, NDLR) a, en effet, baissé à une vitesse vertigineuse. Ce ratio est passé de 10 actifs pour un retraité dans les années 80 du siècle dernier à 2,4 actifs pour un retraité actuellement !