Après une absence de trois ans, Raouf Gara expose à la Maison des Arts à Tunis, du 27 mai au 14 juin 2016, des œuvres plastiques multiformes où l'artiste donne sa vision du monde en création. Voyages en des temps immémoriaux où l'univers prend forme, ses tableaux et ses sculptures parlent d'époques lointaines où explosent les couleurs et signes et où le monde et l'être sont faits de la même chair. Un monde en gestation Les tableaux, compositions abstraites de diverses formes et dimensions saisissent par l'intensité des champs énergétiques qui s'en dégagent, se mouvant dans l'espace, images de l'aventure cosmique qui poursuit son élan ; ils privilégient toutefois le format carré, témoignant du désir de l'artiste de juguler, dans cette forme géométrique régulière, les traces du chaos originel dont il donne la perception dans une vision globale qui va dans tous les sens, pour ne privilégier ni verticales, ni horizontales, ni diagonales. Dans l'espace vierge des supports, des couleurs primaires, aplats bruts à la puissance expressive frémissent; ailleurs vibrent des tons sobres. Et si le monochrome s'impose, il arrive que des couleurs s'associent, s'affrontent, explosent, pour donner à voir le monde en fusion, travaillé par des forces sourdes. Raouf Gara entend et restitue, dans le silence de son atelier qui donne sur la mer immense, les rumeurs du ciel et des océans, celles du monde minéral et végétal. Il va, obéissant comme à une nécessité, dans un respect empreint d'émotion, donner à voir l'invisible. Des compositions, telles de mystérieuses matrices dans leur espace clos, montrent la vie qui émerge ; des formes élémentaires en transparences, des protozoaires en retrait de couleurs, des ovules et des spermatozoïdes qui circulent, fluides, légers, dans la félicité. Là, des signes prennent corps ; mobiles, ils ondulent, courent, en courbes, en arabesques, en ellipses sinusoïdales; ailleurs naissent des fleurs d'eau aux couleurs de l'arc en-ciel alors que plus loin, de somptueuses fleurs de feu éclatent. Des tableaux font lever des geysers diamantés poussés par quelque élan, d'autres le magma en ébullition, l'artiste orchestrant comme d'instinct les couleurs chaudes et froides et leur puissance expressive. Beaucoup de monochromes bleus, on ne sait de ciel ou de mer encore indifférenciés, sur lesquels se tendent des fils ténus de lumière, d'argent et d'ors. L'aventure cosmique se poursuivant, des traces d'écriture, bribes qui appartiennent à quelles langues, s'élancent dans l'espace. Signes incisés, lettres mystérieuses inscrites en creux dans la chair des couleurs, l'artiste graphiste se laisse guider autant par sa mémoire, la sûreté de sa main que de son œil pour graver, avec une rapidité fulgurante sans possibilité de revenir sur les motifs, des tracés qui se ressemblent sans être jamais les mêmes. Les signes naissent de leur rapport de contiguïté ou de discontinuité. Mais que ce soit dans les petits ou les grands formats, l'artiste maîtrise les rapports de proportions qui obéissent à sa rythmique personnelle, dans des tableaux où l'homme est absent. Des sculptures où l'Homme prend corps C'est de l'eau, de la mer qu'il porte dans ses yeux, cette mer de Kélibia où il est né, qui est son lieu de vie, de travail, et qui a influencé sa vision de l'homme, que Raouf Gara conçoit ce dernier, rejoignant ainsi l'école de la science. Mais l'artiste donne pâte à l'humain à partir d'algues fossilisées, de roches battues par les eaux, de bois blanchis par les vents, le sel, les embruns... Ces sédiments qu'il ramasse au cours de longues errances sur la plage reprennent vie, bougent en joie, dans l'oubli de la contrainte, dans des sculptures où des corps stylisés de femmes, d'hommes, dansent. Les compositions dépouillées, singulières, fragiles et fortes, accrochent l'œil au premier regard. L'exposition de Raouf Gara est l'occasion de découvrir ou de redécouvrir, à la source, le monde extraordinaire où nous vivons. Amina BEN DAMIR