en cas de mauvaise gestion, au risque de prise de contrôle ou de ramassage des actions de l'entreprise en bourse. La discipline du marché financier est considérée comme l'instrument le plus puissant au service d'une bonne gouvernance et ses partisans (Barros [2006]) y voient un moyen pour éradiquer la crise financière des clubs de football européens. Cependant, si M. Aulas, dirigeant de l'O.L., avait souhaité se soumettre à une telle discipline financière, il n'aurait pas pris le soin de conserver une majorité de contrôle (de 50,01%) dans le capital du club lors de son entrée en bourse. En outre, soutenir que l'on peut améliorer la gouvernance des clubs de football par la pression de la bourse ne franchit pas l'épreuve des faits avec succès.
S'agissant des clubs anglais, on observe que leur cotation a été suivie de meilleures performances sportives mais aussi d'un creusement de leurs pertes financières – ou d'une réduction de leurs profits pour ceux qui sont profitables. La principale raison en est que, bien que le prétexte à l'entrée en bourse ait régulièrement été la construction d'un nouveau stade ou d'un centre commercial à proximité, les clubs anglais ont surtout utilisé leurs revenus boursiers pour recruter de nouveaux joueurs et pour augmenter la masse salariale.
L'étude susmentionnée montre que les dépenses salariales sont toujours nettement plus élevées après qu'avant l'entrée en bourse. Cette dernière ne semble pas, dans le contexte du football professionnel, être en mesure de transformer une mauvaise gouvernance en une meilleure, prouvant que le contrôle des dirigeants de clubs par les supporters actionnaires est pour l'heure un doux rêve. Plusieurs clubs anglais ont été retirés de la cote (Nottingham Forest, Queens Park Rangers, Leicester City) après des performances boursières calamiteuses tandis que ceux dont le cours de l'action s'est le mieux tenu ont également quitté la cote après une prise de contrôle par un fonds d'investissement ou un oligarque financier (Manchester United par Glaser, Chelsea par Abramovitch, Arsenal dont 14% du capital a été acquis par Alisher Usmanov, patron de Metalloinvest).
Contrainte budgétaire «molle» des clubs et crise financière
Une vision alternative est de considérer qu'une bonne gouvernance est la condition préalable à une entrée en bourse réussie. La bonne gouvernance se traduit par des indicateurs de gestion satisfaisants, des résultats financiers équilibrés ou excédentaires et, en tout cas, jamais par une accumulation de déficits année après année, laquelle mettrait en échec le projet d'entrée en bourse puis effondrerait le cours de l'action après celle-ci. Le problème est alors de créer les conditions d'une bonne gouvernance, sanctionnée par des résultats financiers positifs avant l'introduction en Bourse.
La solution de ce problème revient à durcir la «contrainte budgétaire» au sens de Kornaï [1980] de l'entreprise (du club) avant qu'elle (il) n'affronte la contrainte monétaire et financière de l'évaluation par les marchés financiers. Une entreprise est soumise à une contrainte budgétaire «molle» si elle peut continûment survivre et rester en activité malgré son incapacité à couvrir ses dépenses par ses revenus et continuer à accumuler des déficits financiers et des dettes. Et ceci grâce au renflouement financier sans cesse renouvelé de l'Etat propriétaire des entreprises dans une économie centralement planifiée.
Bien que formulée initialement pour les entreprises opérant en économie planifiée, cette notion de contrainte budgétaire «molle» trouve à s'appliquer en de nombreuses circonstances en économie capitaliste. Telle que la situation d'un certain nombre de clubs de football professionnel. La mauvaise conduite financière d'un club traduit à la fois sa mauvaise gouvernance et le fait que sa contrainte budgétaire est en permanence adoucie par des bailleurs à fonds perdus, que ceux-ci soient des autorités locales, des mécènes, des banquiers moins regardants ou des supporters actionnaires. Il n'est donc pas surprenant que la plupart des ligues nationales du football européen et un nombre non négligeable de clubs soient en crise financière. Ainsi, le Calcio italien a dégagé un déficit d'exploitation de 982 millions d'euros en 2001-2002, alors que ses revenus totaux était la même année de 1148 millions d'euros; la dette de la Série A a atteint 1742 millions d'euros en 2002. Bien que réduit grâce à un plan de sauvetage du gouvernement italien, le déficit de la Série A était encore de 414 millions d'euros en 2003 et 13 clubs sur 18 étaient en déficit, trois avaient un solde équilibré et deux dégageaient un léger excédent d'exploitation. Les déficits de certains clubs italiens pointent un gros problème de gouvernance ayant culminé à 313 millions d'euros au Lazio Rome, 247 millions d'euros à l'AC Milan, 224 millions d'euros à l'AS Rome. Il n'y a rien d'étonnant à ce que les cours de l'action Lazio Rome (cotée depuis mai 1998) et de l'action AS Rome (cotée depuis mai 2000) se soient effondrés. Même si de mauvaises performances sportives font chuter les cours boursiers des clubs, facteur dissuadant les supporters et les investisseurs institutionnels à devenir actionnaires, la permanence de leurs déficits financiers et de leurs dettes, et donc finalement le problème de leur gouvernance, constituent des facteurs aggravants.
Lazio Rome et AS Rome ont été introduits en bourse prématurément ou peut-être n'auraient-ils simplement pas dû l'être, en vertu de l'analyse précédente. Une fois entrés en bourse, leur mauvaise gouvernance a été sanctionnée par le marché financier mais – contrairement à la vision anglo-américaine – sans que ceci ne discipline la gestion des dirigeants et ne réduise les déficits et, encore moins, n'attire des investisseurs.
La Liga de Futbol espagnole affiche chaque année un léger excédent d'exploitation, grâce à l'aide de bailleurs à fonds perdus. Malgré cela quelques grands clubs se sont trouvés dans le rouge: par exemple en 2003 de 220 millions d'euros au FC Barcelone et de 150 millions d'euros au FC Valence. Quant au Real Madrid, il a réussi à annuler 300 millions d'euros de dettes en persuadant le Conseil municipal et la Communauté autonome de Madrid d'évaluer son terrain Ciudad Deportivo, de façon qu'il puisse le vendre 480 millions d'euros . La dette totale des clubs espagnols, de 1625 millions d'euros en 2002 (contre 1257 millions d'euros de revenus totaux), augmente continûment mais les clubs la compensent dans leurs comptes en y inscrivant des actifs intangibles. la valeur de leurs joueurs à leur prix de transfert . Aucun club espagnol n'est coté en bourse: signe de prudence ou volonté des dirigeants de garder le contrôle de leurs clubs et de maintenir une contrainte budgétaire molle grâce à l'appui des autorités et des banques?
La «mauvaise» gouvernance de (certains) clubs de football
Une bonne gouvernance suppose que le club de football soit totalement transparent en publiant toute l'information comptable et financière concernant son activité. En France, jusqu'à la saison 2002-2003, la règle était au contraire l'opacité totale. Aucun club ne publiait ses comptes, la Direction Nationale de Contrôle de Gestion française (DNCG) ne publiait que les comptes agrégés pour la Ligue 1 et la Ligue 2. Malgré l'obligation légale, de publier désormais leurs comptes, le rapport du sénateur Collin dénonçait le fait que les clubs ne publiaient toujours pas tous leurs données financières, contournant la nouvelle obligation légale, les données agrégées publiées par la ligue n'offrant pas la transparence requise pour chaque club. En cherchant à collecter les données club par club sur le site de la DNCG, il est apparu que seulement 29 clubs sur 40 (Ligue 1 + Ligue 2) avaient accepté de se plier à l'obligation de publication des comptes. Onze clubs ont préféré payer une amende plutôt que de voir la DNCG afficher leurs comptes sur son site public.
Il est clair que les clubs qui ne publiaient pas leurs comptes avaient des déficits comptables à cacher. La transparence a eu du mal à s'imposer, même si le nombre des non déclarants a diminué depuis lors et est tombé à zéro en 2006. Une fois parvenu à plus de transparence, d'autres indices de bonne gouvernance sont à prendre en considération. L'indiscipline de paiement, mise en évidence pour la dette «sociale» (impôts, cotisations sociales), est une négligence coupable, habituellement sanctionnée dans les autres secteurs commerciaux de l'économie. Notons que les arriérés d'impôts et de cotisations sociales de l'O.L. s'élevaient à plus que 34,9 millions d'euros en 2008, ses dettes aux fournisseurs à 14,6 millions d'euros, sur un passif total de 178,2 millions d'euros. Il n'est pas concevable qu'une pratique consistant à retarder le paiement des impôts et des cotisations sociales perdure pour des clubs français qui envisagent d'entrer en bourse. D'autant moins que ce non paiement ne peut s'expliquer autrement que par la passivité, voire la connivence, d'autorités complaisantes à ne pas durcir la contrainte budgétaire des clubs en difficulté financière. Il en va de même tant que les clubs trouvent des bailleurs de fonds privés prêts à les financer, pratiquement à fonds perdus, alors que leurs comptes n'inspirent confiance ni en matière de gouvernance, ni en matière de solvabilité.