La dernière fournée d'autorisations délivrée aux partis politiques est tombée il y a deux jours. Elle comporte 5 nouvelles formations, ce qui porte le nombre total des partis autorisés à 49. Et ce n'est pas fini. On prévoit même l'arrivée sur scène d'une quinzaine de formations d'ici l'élection de l'Assemblée Constituante, le 24 juillet prochain. Ce qui signifierait l'entrée en lice d'une soixantaine de partis. De quoi donner le tournis aux futurs électeurs qui seront ainsi soumis, d'ici jusqu'au moment fatidique, à un bombardement en règle et pendant plusieurs semaines, d'idées, de théories, de stratégies politiques jusqu'à en éprouver de la satiété. Et même jusqu'à en ressentir une indigestion. Or, il faut faire en sorte que le sentiment de fraîcheur qui a caractérisé l'avènement de la révolution ne dépérisse, ne disparaisse pas. Ce dont la jeunesse peut nous en tenir rigueur, elle qui avait mis tout son enthousiasme, tout son entrain et tout son élan juvénile en vue de créer les conditions propices à la construction d'un nouvel édifice politique. La première impression qui nous gagne à la découverte de ce nombre important de partis politiques appelés à s'escrimer dans l'enceinte parlementaire est la surprise. Le peuple tunisien n'y était pas habitué. Sevré de débats politiques et privé d'exercices démocratiques par les soins pathologiquement attentionnés d'une dictature sans précédent, il n'avait connu la démocratie que par une sorte de procuration, dans les joutes parlementaires, via la télévision et internet, qui ont lieu dans les grandes démocraties occidentales. Et là, il avait constaté que le nombre des partis jetés dans la mêlée était réduit: une dizaine au plus. Ce nombre réduit permettait la connaissance des programmes et stratégies proposés aux électeurs et était donc de nature à favoriser l'adhésion de l'électeur aux thèses d'un candidat donné. Voilà pourquoi nombre de nos concitoyens, en manque d'acquis démocratiques dans leur propre pays, jetaient leur dévolu sur une personnalité, généralement de nationalité française ou américaine puisque c'était là les deux grands rendez-vous électoraux qui les questionnaient. Ainsi Chirac, puis Ségolène Royal ont bénéficie des «suffrages» tunisiens pour ce qui est de la France et Obama pour ce qui est des Etats-Unis. Leur proposer de choisir dans une myriade de candidatures qu'ils ne connaissent pour la plupart ni d'Eve ni d'Adam, un nom à adouber, relève de la loterie.
Les partis démunis Il suffit de lire la liste des noms pour se persuader que, à part trois ou quatre formations dont le programme se reflète dans le titre, tout le reste se confond dans une uniformité désespérante. Tous les programmes parlent de liberté, de justice, de jeunesse, de dignité, de développement, de démocratie, etc. Par quoi se différencient-ils? On en donne sa langue au chat. Ces candidatures surmultipliées, ne proposent quasiment aucune dénomination originale. De sorte que l'électeur a toute chance de se perdre dans cette forêt de noms sans repères significatifs. Et il risque aussi de ne retenir du contenu des programmes et des stratégies y afférentes qu'un magma d'idées presque interchangeables d'un parti à l'autre. Ce qui ajoutera à la confusion des électeurs dont nombre d'entre eux rejetteront les formations qui tombent des nues sans antécédent, sans pédigrée, sans légitimité. Et surtout sans moyens. Car il y en a qui ne comportent dans leur composition que quelques personnes: le président, le secrétaire général, la secrétaire du président et un vaguemestre. Tout limitée que soit l'équipe, il faut payer les salaires de quelques membres. Et ce n'est pas donné par les temps qui courent. Puis il faut régler le loyer, entretenir un véhicule pour les déplacements, pour coller les affiches, pour distribuer des tracts. Il faut louer des locaux pour les rassemblements et pour les grands meetings. Bref, il faut prévoir un budget conséquent que seuls peuvent consentir quelques partis qui bénéficient déjà d'une certaine audience. Ceux-là peuvent tirer leur épingle du jeu. Mais les autres, les groupuscules nés à la faveur de la Révolution et qui n'auront pas eu le temps de se faire connaître (à peine disposeront-ils de quatre mois) comment pourraient-ils trouver une source de financement substantielle? Etant entendu qu'il leur est interdit d'avoir recours à des fonds étrangers et ce afin qu'ils puissent sauvegarder leur indépendance en matière d'objectifs et de stratégie et ne pas être manipulés par des puissances étrangères (et il y en a par les temps qui courent sur cette planète où l'argent est roi!).
Vers des conglomérats de partis Certes, au fil des jours, le nombre de partis s'amenuisera après, peut-être, avoir atteint, prévoit-on, le pic de la soixantaine. Il y aura ceux qui tireront leur révérence faute de moyens, ou d'audience et qui, peut-être, préféreront le combat associatif. D'autres fusionneront entre eux. On vient d'en avoir, il y a quelques jours, l'illustration: «le Mouvement du peuple» et «le Mouvement unioniste du progrès» ont décidé de convoler en justes noces afin de démontrer l'adage qui dit que l'union fait la force. Une nouvelle appellation a été attribuée qui conjugue les deux anciens noms. Dorénavant, l'électeur aura affaire au «Mouvement unioniste et progressiste du peuple», un des deux responsables occupera le poste de président tandis que l'autre celui de secrétaire général. C'est là une initiative pertinente. Il est à souhaiter que d'autres formations en prennent de la graine. Cela simplifiera le paysage électoral et donnera plus de lisibilité au processus de transition démocratique et plus de punch aux débats. La meilleure perspective serait donc de voir les petits partis se conglomérer en trois ou quatre ensembles, tant l'émiettement, si cela se produisait, compliquerait un processus électoral auquel malheureusement le peuple n'aura pas été habitué le long d'un demi-siècle de chape de plomb. La vie politique pourra alors se dérouler dans une grande visibilité autour de trois ou quatre grandes idées mobilisatrices. Et en même temps, cela facilitera l'avènement du phénomène de l'alternance, qui constitue le rythme idéal pour rénover le cheminement démocratique si, par aventure, un grain de sable venait à faire gripper le mécanisme.