Depuis hier les Tunisiens de l'étranger votent. La première élection libre depuis la révolution du début de l'année et la chute du régime de Ben Ali. Ils ont jusqu'à samedi pour participer au scrutin et élire leurs représentants à l'Assemblée Constituante, date à laquelle leurs compatriotes se rendront aux runes au pays. A Toulouse, c'est le Consulat de Tunisie qui accueille les bureaux de vote. Ils étaient déjà nombreux hier à s'être déplacés.
Une atmosphère paisible, une émotion palpable
Dans la cour du consulat, sous un préau qui sert habituellement de parking, trois postes informatiques remplacent les voitures. Tous les murs sont entièrement recouverts de listes électorales. Personne ou presque ne les consulte. Les ordinateurs sont plus efficaces pour retrouver sa trace et vérifier son inscription. Initialement, les Tunisiens avaient jusqu'au mois d'août pour le faire. En pratique,ils peuvent le aire sur le moment. Ce préalable effectué, les électeurs sont alors dirigés vers leur bureau de vote. Le consulat en abrite quatre.
L'atmosphère est paisible. Un père sort du bureau de vote et promène sa fille dans la poussette qui agite deux petits drapeaux de la Tunisie. Les volontaires qui assurent l'organisation, sous l'égide de l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) (voir plus bas), montrent une volonté tenace de respecter les procédures. Les sourires et les regards trahissent cependant l'émotion du moment.
« On a vu naître des partis et partir la dictature »
Myriam a 22 ans, elle est en France depuis quelques semaines à peine. Elle a vécu la révolution sur place. « On est fier de voter. Jamais je n'aurais cru le faire librement un jour ». Comme elle, Hamin, 23 ans, vient d'arriver à Toulouse pour poursuivre ses études. Vingt-trois ans, comme la durée du règne de Ben Ali. « Je n'ai connu que lui. Je ne réalisais pas ce qu'il se passait pendant la révolution. Je ne savais pas s'il y aurait un changement un jour. Mais quand à partir du 8-9 janvier les manifestations et les protestations se sont multipliées dans le pays, j'y ai cru. Cette révolution c'est celle des jeunes. Alors il faut la terminer en beauté en allant voter ». Myriam se rappelle d'une personne âgée venue voter plus tôt dans la journée et avec qui elle a échangé. « Elle avait combattu pour l'indépendance et me disait que nous avions ça en nous, cette volonté de se battre pour la liberté, nous les tunisiens. La génération suivante a été plus inerte mais la nôtre a certainement retrouvé ce sentiment ». La campagne électorale, courte, ils l'ont suivie depuis la France grâce aux médias et aux réseaux sociaux. Ceux-là même qui ont œuvré à la coordination du soulèvement. Ils ne ressentent pas de frustration particulière de ne pas voter en Tunisie pour cette première élection libre. « On a un petit manque, reconnaît Hamin. Mais on a vu naître des partis et partir la dictature. C'est sûrement moins frustrant que pour ceux qui ont vécu la révolution d'ici ».
« On a adopté ce système (l'encre sur le doigt) parce qu'on a plus confiance dans les anciennes méthodes et qu'on était devenu allergique aux ancienne cartes d'électeurs »
Myriam Khouini, ne cache pas son émotion mais avoue se sentir « frustrée » parce qu'elle avait « imaginé un moment plus solennel ». Avocate de 38 ans à Toulouse, elle n'est pas une simple électrice. Elle se présente en effet à cette élection sur la liste indépendante « La voix des tunisiens de l'étranger » et a observé cette première journée de vote. « Je ne m'attendais pas à ce que les gens viennent voter si tôt ce matin. Ils se sont vraiment mobilisés » apprécie-t-elle. S'ils se sont levés tôt c'est peut-être pour prendre connaissance des 23 listes parmi lesquelles ils doivent choisir. Alors la juriste regrette que « beaucoup ne savent pas pour qui voter ». Elle craint de voir les partis historiques qui disposent de plus de moyens et de visibilité, faire trop d'ombre aux listes indépendantes surtout « avec une campagne qui n'a duré qu'un mois ». Et elle n'hésite pas à préciser sa peur : « voir le parti islamiste Ehnnada émerger ». « Officiellement ils sont pour la démocratie, poursuit-elle. Mais je suis allée à une réunion du parti à Toulouse et il leur a été demandé s'il souhaitait appliquer la charia et la peine de mort. Pas de réponse ».
De l'encre sur le doigt à défaut de carte électorale
Peu avant 18h et la fermeture des bureaux de vote, ils étaient « environ 1200 à être venus voter sur les 12 500 inscrits à vivre sur la zone consulaire », selon Hedi Ben Kraiem, responsable régional de l'ISIE. Militant des droits de l'homme et ancien professeur d'université, il dit avoir quitté son pays il y a dix ans « pour divergence politique ». Même s'il baisse la voix quand il évoque l'ancien régime dictatorial, cet homme de 60 ans dit « revivre avec son vote ». Il est particulièrement heureux d'avoir entendu certains rebaptiser le consulat « la maison du peuple ». Vigilant sur le déroulement du scrutin, il insiste sur le fait que si l'administration a fourni la logistique pour la tenue du vote, celui-ci est géré par l'ISIE, et « l'administration comme le consul restent neutres ». Pour garantir la transparence, et pour cette fois, chaque électeur trempe son index gauche dans de l'encre après avoir voté. « On a adopté ce système parce qu'on a plus confiance dans les anciennes méthodes et qu'on était devenu allergique aux ancienne cartes d'électeurs ».
Le bout du doigt tout bleu, Inès, 22 ans a voté pour la toute première fois avec son amie Sahla. Au bureau 1. « On est fières. On espère que beaucoup de jeunes iront voter surtout ». Le volontaire qui tient le bureau de vote assure « avoir la chair de poule » et du mal à réaliser que « tout soit allé aussi vite ». Pour lui, « la génération actuelle a posé les premières pierres de la démocratie ».
Vote, mode d'emploi
Les Tunisiens sont appelés samedi 23 octobre (et depuis hier et jusqu'à samedi pour ceux de l'étranger) à choisir démocratiquement leurs représentants pour l'Assemblée Nationale Constituante. Cette dernière sera temporaire et chargée d'établir une nouvelle constitution pour le pays et définir ainsi le nouveau système institutionnel du pays. Les représentants seront au nombre de 217.
Parmi eux, 18 seront les représentants des Tunisiens de l'étranger, dont 10 rien que pour la France. Pour ce faire, la France est divisée en deux circonscriptions électorales. 5 représentants de chacune d'entre elles seront élus, les listes présentées sont donc formées de 5 candidats. La circonscription France 1 regroupe les zones géographiques rattachées aux consulats de Paris, Pantin, Strasbourg (toute la moitié nord du pays). La circonscription France 2 recouvre elle la moitié sud correspondant aux zones consulaires de Marseille, Lyon, Grenoble, Nice et Toulouse. Dans la région des bureaux de vote sont ouverts à Toulouse, Montauban, Tarbes, Albi.
Les Tunisiens de France ont le choix parmi 23 listes. Sur les bulletins de vote apparaissent le nom et le logo de chaque parti. L'électeur doit cocher, dans une case réservée à cette fois, une seule liste de son choix.
Les élections sont supervisées de l'ISIE, instance publique indépendante, présidée par le militant des droits de l'homme et célèbre opposant au régime de Ben Ali, Kamel Jendoubi.