Face à face, AKP et Ennahdha Parallèlement à leur contiguïté idéologique, aussi bien l'AKP qu'Ennahdha rejettent le qualificatif de parti islamiste, terme utilisé, de leur avis, par les occidentaux pour discréditer leur mouvement, qui est composé de différentes branches et réalités, mais, par contre, se revendiquent de la mouvance islamiste. Dans leur discours, ils semblent partager le même souci de moraliser la vie publique. Ils déclarent que leur objectif majeur n'est pas de ré-islamiser la société mais d'enraciner les valeurs et principes de l'Islam, un Islam, disent-ils, ouvert sur son environnement national et international. Sur un autre plan, Ennahdha fait valoir le modèle de laïcité reconstruit par l'AKP, un modèle modéré, inclusif et consensuel, à la différence du modèle kémaliste (préconisant une laïcité de combat plutôt autoritaire, rigide et tranchante). Hormis les lignes de croisement d'ordre essentiellement idéologique, maints éléments, et non des moindres, partagent les deux partis : Conclusions préliminaires Les différences de taille, ci-dessus exposées, suggère l'incapacité objective d'Ennahdha de reproduire le modèle AKP dont il n'a ni la cohérence politique ni le fondement démocratique ni l'expérience publique ni la compétence technique. Ce dernier n'étant pas une recette miracle transposable. Par conséquent, la référence des leaders d'Ennahdha au modèle AKP tient beaucoup moins de la stratégie que de l'effet d'annonce ou l'argument de vente. Il est plus rassurant, pour l'opinion publique nationale et internationale, de se prévaloir de l'AKP, un parti, se qualifiant de conservateur, qui a réussi la synthèse entre l'Islam, la laïcité et la démocratie et qui a fait évoluer la Turquie à un nouveau palier sur le plan socioéconomique et diplomatique, se démarquant de tout moulage islamiste. En revanche, dans la perception générale, le projet d'Ennahdha est articulé sur un agenda beaucoup plus islamiste que démocratique. Ledit parti ne parvient pas à rassurer malgré un discours qui se veut ouvert et moderniste. Il y a lieu de préciser que le succès du modèle turc est redevable notamment à sa dimension socioéconomique et sa prestation en la matière beaucoup plus qu'à son volet politique. La success story turque est avant tout d'ordre économique. C'est une question de programme et de faculté de mise en œuvre des projets annoncés. Ennahdha n'est pas dans cette posture, il n'a ni programme socio économique ni stratégie de gouvernance. Certes l'Islam rapproche Ennahdha de l'AKP, mais au niveau strictement idéologique, le contraste est saisissant dans la mesure où l'AKP s'appuie sur une identité, une unité, après avoir écarté sa branche dure et son projet fondamentaliste, alors qu'Ennahdha navigue à vue et pèche par une charpente idéologique segmentée (Wahhabisme, Frères Musulmans, Islam politique modéré et démocratique), une confusion non encore tranchée dans sa vocation (politique ou prédiction) et une division interne entre ses deux ailes, dure et modérée, qui mine et entrave l'évolution du parti, outre un déficit de leadership et de charisme. A l'instar de Necmettin Erbakan, le chef du parti, Rached Ghannouchi, cristallisant plutôt l'aile dure, constitue le premier facteur de blocage dès lors qu'il décide de tout et tire toutes les ficelles tout aussi bien du parti que du gouvernement. Par conséquent, Ennahdha est tenu de faire sa “révolution culturelle”, assainir son édifice politique et idéologique interne avant de s'inspirer du modèle AKP, modèle en tout état de cause non transposable en entier, et ce au-delà des différences de réalités politiques et sociales. Ne pas oublier que le système turc se base sur de solides fondations, une culture démocratique et laïque bien implantée, un droit séculier sacré et consacré et un ordre constitutionnel surprotégé. Fort de ces acquis, le système turc n'a pas éprouvé de peine à intégrer la mouvance islamiste dans son cadre représentatif, sans compter la prédisposition toute naturelle de l'AKP à jouer franchement le jeu, à en accepter les règles et à en sauvegarder le socle . Mais la question reste vivace : Y a-t-il un Erdogan parmi les leaders d'Ennahdha ?!