La Femen tunisienne Amina ne manque ni de sel ni de culot. On ne peut pas dire, à juste titre, qu'elle a froid aux yeux ou qu'elle ne va pas au bout de son idée. A défaut d'autres talents, son courage confinant à la témérité est à saluer. Abhorrée par les islamistes de tous bords et même menacé dans son intégrité physique par les plus radicaux, Amina fait part à l'avance, à travers une annonce sur sa page facebook , de son intention d'effectuer une mission « coup d'Eclat » à la 3ème Assemblée Générale d'Ansar El Chariaa, devant être tenue le Dimanche 19 Mai 2013 à Kairouan. Joignant l'acte à la parole, elle s'y était rendue sans sourciller ni se débiner au dernier moment. Audacieuse jusqu'au bout des ongles, elle n'a pas hésité à taguer le nom de organisation « Femen » sur un mur, dans l'enceinte de la mosquée Okba Ibn Nafaa, à la grande indignation des riverains. Volonté de provocation ou d'affirmation ? Les réactions sont largement partagées, différentes, contradictoires et parfois sur fond de mauvaise foi, de clichés, de préjugés et de procès d'intentions. Pour les uns, Amina n'a rien commis de répréhensible pour être arrêtée puis faire l'objet d'un mandat de dépôt émis par le juge d'instruction. Elle été épinglée sur des intentions que ses détracteurs lui prêtaient et notamment sur son image qu'ils jugeaient dépravée. Au-delà de sa célérité, comment comprendre cette mesure judiciaire alors qu'Amina n'a transgressé aucune règle ni attenté à l'ordre public ni agressé mœurs ambiante. Elle n'a fait que graffiter le nom de son association, ce qui n'est aucunement une infraction. Son exhibition habituelle n'a pas eu lieu comme les présents craignaient. Alors pourquoi cette arrestation ? Pour les autres, rien que sa présence à Kairouan est une insulte. La dévergondée, rejetée par sa famille et honnie par la société, était venue dans l'idée de provoquer et d'embraser une situation déjà largement délétère et chargée de tension et de crispation. Il fallait anticiper le mal et de pas attendre l'accomplissement de l'acte de débauche pour agir et sévir. Amina est un bûcher de l'enfer et, à ce titre, n'a aucun de droit ne serait-ce arpenter les ruelles de n'importe quelle ville tunisienne, même pas une bourgade. Dans l'imaginaire populaire et social, Amina a été réduite à sa photo seins nus, publiée pour réclamer sa propriété de son propre corps. Image certes choquante à l'ordre moral. Une telle expression recèle une forte dose de provocation dans nos sociétés arabo-musulmanes. En revanche, à Kairouan, elle ne s'était rendue coupable d'aucun manquement à l'encontre de la loi ou de la moralité publique pour mériter un traitement indument disproportionnel. Quel fait incriminable lui reproche-t-on ? Nul doute qu'il y a une idée de provocation dans sa visite, compte tenu du timing, de l'endroit, de la nature de la manifestation prévue et surtout de ses acteurs, mais par rapport au droit dont le ministère public et le juge d'instruction sont censés appliquer les dispositions, il n'y a rien qui soit condamnable et encore moins, passible de mandat de dépôt. Alors pourquoi la justice tunisienne a-t-elle monté de toutes pièces, qui plus est dans un temps record, une affaire qui n'en est manifestement pas une ? Vraisemblablement pour satisfaire une frange de la population beaucoup plus rongée par le fétichisme que soucieuse de justice. Ce n'est parce qu'Amina s'était adonnée à des agissements controversés, heurtant les esprits, qu'elle est considérée toujours coupable même quand elle n'a rien fait. Et voilà qu'on présume des intentions et on fait monter à l'échafaud une personne à qui on en prête. Bref, un fumeux procès d'intentions, transformé en procès tout court. Pourtant, Seul Dieu a le privilège exclusif de juger les intentions, l'homme n'a que le droit d'arbitrer des actes. Il n'est pas exclu que, pour faire taire définitivement la Femen tunisienne, l'appareil judiciaire se rabatte sur une détention provisoire et préventive jusqu'à 14 mois, conformément aux dispositions procédurales du mandat de dépôt. Auquel funeste cas, n'importe qui serait en position et en droit de fustiger l'abus, l'arbitraire et l'acharnement judiciaire sur une tunisienne coupable d'intentions supposées immorales, pourtant non exécutées, à moins que sa photo seins nus reste un éternel chemin de croix pour Amina et un crime qu'elle n'aura jamais suffisamment payé. Face à un tel ténébreux scénario, d'aucuns s'interrogent où est le président de la république, qui était bien monté en créneaux, sous la huée générale, pour défendre, faussement d'ailleurs, une étudiante en Niqab. Où sont les marchants de la légalité dont les droits de l'homme meublent leur unique fond de commerce ? Où sont les associations qui braillent à longueur de journée contre l'injustice ? A part l'AFD, rien à se mettre sous la dent. Même les partis supposés de gauche et les hommes politiques se prétendant laïcs, se tapissent dans un silence suspect, enlisés dans leur calcul politique partisan. Pourquoi s'afficher sur un sujet controversé où ils risquent d'y laisser des plumes en termes électoraux. Les principes ? Mon œil !! Passez, il n'y a rien à voir !! Il ne s'agit pas ici de défendre Amina, vaille que vaille, dans toutes ses expressions, loin s'en faut. Il est plutôt question de défendre une certaine idée de la justice et une certaine image de la Tunisie. Pour terminer, deux citations d'à propos de Charles de Talleyrand, » Je pardonne aux gens de n'être pas de mon avis, je ne leur pardonne pas de n'être pas du leur » et également, plus incisive, » Les lois, elles, on peut les violer sans qu'elles crient ».