Le Dialogue National a été un processus vicié et, à ce titre, a fini en queue de poisson. Des zones d'ombre persistent quant au système de désignation, à la transparence et l'inclusivité de ce mécanisme de vote et au niveau d'indépendance et de neutralité du candidat, de dernière minute, bombardé in extrémis, Chef de Gouvernement, dans le désordre et l'opacité. Le Quartet n'est pas exempt de reproches et de manquements. Des questions s'imposent à ce sujet : Pourquoi le Quartet a fait bénéficier, en exclusivité, la Troïka, en particulier le mouvement Ennahdha, d'un droit de veto ? Il semble bien qu'un deal ait été conclu selon lequel la Troika lâche et quitte le pouvoir en contrepartie d'un droit de veto, arrangement que le Quartet a le grand tort d'accepter et d'employer comme critère transversal à la négociation. Si la négociation devait être bouclée par un vote, pourquoi un candidat comme Mohamed Ennaceur, sorti vainqueur de tous les tours de table, est passé à la trappe ? Ceci confirme que le levier de veto a été bien consenti par le Quartet et a conditionné les tractations. Comment se fait-il, d'un point de vue aussi bien politique que moral, que le Quartet opère un passage en force et entérine un scrutin auquel toutes les forces de l'opposition, notamment le Front du Salut, étaient absentes ? Le Quartet ne semble pas avoir fait preuve d'impartialité et d'objectivité en se rabattant sur une option boiteuse, tronquée et vide de consensus alors qu'aux termes même de la « Feuille de route », le principe de consensus était incontournable. Peut- être de guerre lasse, en désespoir de cause, soumis à la pression de l'échéancier et de la négociation, le Quartet a cédé, convaincu qu'un accord bancal vaut mieux qu'un échec. Ce qui reste à démontrer. Sinon, que le mouvement Ennahdha ait manœuvré, usé de toutes les ficelles de la négociation, mené en bateau une quelconque partie prenante, il faut admettre que c'est de bonne guerre et que l'art de la négociation autorise une part de magouille, de manipulation et de tricherie. Tous les coups sont permis pour peu qu'on obtienne gain de cause. En faire un foin est un réflexe de mauvais perdant. Cet exercice de Dialogue National a fait des victimes. En premier lieu, le Quartet, notamment l'UGTT, en tant que porte-parole, dont la prestation n'est pas à la mesure de son audience et son autorité. La Centrale Syndicale en est sortie discréditée, fragilisée. A force de reporter la date butoir, d'employer un mode opératoire à la tête du client, voire sur commande, accordant le droit de veto d'une manière sélective et inique, privilégiant l'aboutissement, quelles qu'en soient la nature et la portée, au détriment de l'impératif de consensus, le Quartet a crée des problèmes là où il croyait en résoudre. Le retour de manivelle ne se fera pas attendre. Comme à chaque bras de fer avec le mouvement Ennahdha, l'opposition s'est cassé encore une fois les dents. Le Front de Salut n'a été qu'une coquille vide, incapable de serrer les rangs et de se placer comme une force alternative, soudée et percutante. La dissension en interne et le manque d'unité en externe ont lézardé ce bloc et fissuré sa posture et sa position. La volte-face d'Ahmed Nejib Chebbi, soutenant le candidat de la Troïka, au mépris de la position de son propre camp, à savoir le Front du Salut, et sans consulter sa base, a non seulement divisé l'opposition mais a ouvert la voie au mouvement Ennahdha pour prendre en otage le processus. A certains égards, le Front de Salut n'a pas négocié, il n'a fait que des propositions, changeant de candidats comme d'approches, sacrifiant et discréditant l'un après l'autre les prétendants dont il a avancé le nom. Une manière de négocier, bien étrange et bien vulnérable, alors que la partie adverse a longtemps campé sur le nom d'un seul poulain. Le Front de Salut était beaucoup plus dans une logique de casting que dans une course à la primature. Le Front du Salut a mal négocié car il s'est trompé de démarche et d'objectif. Pour lui, l'ultime visée a consisté à déloger coûte que coûte, vaille que vaille, la Troïka du pouvoir. Son souci premier n'est pas de débloquer la situation et de régler la crise, mais de chasser un adversaire. Beaucoup de pain sur la planche pour l'opposition comme pour le Quartet. La désignation de Mehdi Jomaa, nahdhaoui-compatible, ancien membre de l'UGTE quand il était étudiant à l'ENIT, est tout aussi un pied de nez au Front du Salut qu'une victoire au cordeau pour la Troïka Celle-ci a feint d'accepter la candidature de Jalloul Ayed car elle savait que ce nom est grillé auprès de l'opposition, notamment le Front Populaire. Le mouvement Ennahdha a utilisé Ahmed Mestiri comme cheval de bataille, un fusible qu'il a fait sauter, au moment opportun, pour faire le lit de la candidature surprise de Mehdi Jomaa, membre du gouvernement de l'échec, au prix vraisemblablement d'un deal. Maintenant, après le résultat de ce louche scrutin, l'opposition fait grise mine et ronge son frein. La balle est partie, le mal est fait, aucune marche-arrière n'est plus possible. Elle a raté le coche, déchirée, comme toujours, par la course au leadership et par la guerre des egos, inapte forcément à développer une vision stratégique commune. Elle a montré toute l'étendue de son incapacité à agir en bloc et à négocier en force, obnubilée uniquement par une seule idée, à savoir, déloger la Troïka du pouvoir. La Troïka a la peau dure, elle est certes chassée de la porte du gouvernement, mais elle revient par la fenêtre. Rached Ghannouchi n'a-t-il pas déclaré, sans faire mystère à ce sujet, « on quitte le gouvernement et pas le pouvoir ». Et c'est là où tout s'est joué.